Chronique réunionnaise (3)

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L’économie du sucre

L’économie de l’Ile de la Réunion est dominée par l’exploitation de la canne à sucre.

La Réunion vit essentiellement de trois sources de revenus : les transferts massifs de la Métropole, qui paie les fonctionnaires, verse des aides sociales et prend à sa charge une grande part des investissements en infrastructures ; le tourisme, qui s’était rétabli après la crise du chikungunya (syndrome de l’homme courbé, provoqué par des piqûres de moustiques) mais souffre maintenant de la récession économique ; le sucre, dont la canne est plantée sur la majeure partie des terres utiles et dont le cours est garanti par l’Union Européenne.

Deux musées sont consacrés à la canne à sucre. A Stella Matutina près de Saint-Leu, une ancienne usine sucrière a été convertie en « muséum agricole et industriel de La Réunion ». Le guide du Routard parle d’une incontestable réussite : « muséographie jouant avec les volumes, les décrochements, les passerelles et les matériaux des machine agricoles et industrielles ». A Bois d’Olive, près de Saint Pierre, l’usine Isautier abrite un musée intitulé « la saga du rhum ».

La visite du muséum (www.stellamatutina.fr) commence par une salle présentant l’histoire de la colonisation de l’île organisée par la Compagnie des Indes, sa spécialisation dans le café  au dix-huitième siècle pour satisfaire l’accroissement exponentiel du marché en Europe puis, après la perte de l’Ile de France (Maurice) devenue anglaise en 1810, dans la canne à sucre. Les plantations de canne ont rapidement couvert les pentes de l’ile et leur exploitation est devenue sa principale richesse. L’industrie de la canne reposait sur deux facteurs de production : le travail des esclaves et l’innovation technologique dans les procès de transformation de la matière première. Par des photos et des vidéos, le musée s’intéresse aux ouvriers du sucre. Un retraité de l’usine de Stella Matutina raconte que son grand père, qui avait officiellement le statut d’engagé volontaire, avait été capturé adolescent dans son village au Mozambique et amené de force à La Réunion. Le musée s’attarde longuement sur « l’engagisme » et les conditions de la libération des esclaves par Sarda Garriga en 1848. Il a conservé les panneaux disciplinaires fixés sur les murs de l’usine à l’attention des ouvriers : « silence », « soyez poli », « des discours inutiles, du temps perdu ». Et cette injonction qui en dit long sur les relations sociales : « si votre temps ne compte pas, le mien compte ».

La « Saga du rhum » (http://www.sagadurhum.fr/) se concentre sur les sous-produits de la canne à sucre, et naturellement le rhum sous ses multiples avatars : arak, rhum agricole, rhum vieux, rhum arrangé, punchs. La visite s’achève par une dégustation de rhums : le punch piment ferait hurler jusqu’au Capitaine Haddock ! Une vitrine explique pourquoi la canne à sucre est aujourd’hui nécessaire au développement durable de l’île : elle fixe les sols et maintient la terre en cas de cyclones ; elle capture du carbone et libère de l’oxygène ; elle offre de nombreux sous-produits, fourrage pour le bétail, combustible pour les centrales hydro-électriques (15% de la production électrique de l’île), bois aggloméré pour l’ameublement et, naturellement, le sucre et le rhum.

Chronique réunionnaise (2)

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Randonner dans les Hauts de l’Ile de la Réunion procure des sensations inoubliables. Loger dans un gîte ou se restaurer à une table d’hôte offrent des occasions de rencontre.

Randonnée au Camp du Tévelave

Nous nous rendons au Camp du Tévelave, un départ de promenades à 800 mètres d’altitude. Nous choisissons une boucle d’environ deux heures, qui donne accès à l’un de ces points de vue spectaculaires si nombreux dans « L’île à grand spectacle », à-pics de centaines de mètres dont les parois verticales sont colonisées par la végétation, canyons abyssaux, contraste de la montagne volcanique noire et du ciel d’un azur profond. Nous ne verrons rien aujourd’hui : un brouillard dense s’est installé sur la forêt de tamarins. Faute de panoramas, nous sommes attentifs aux surprises que nous réserve la randonnée, un diamant d’eau sur une feuille de fougère, le rouge écarlate de fleurs de fuchsia, les «barbes de Saint Antoine » sur les branches de tamarin.

Table d’hôte Chez Lydia

Nous avons réservé à déjeuner chez Lydia Roque, trois kilomètres au dessus du Conservatoire Botanique du Mascarin aux Colimaçons. Elle nous reçoit dans la salle à manger de sa case. Une table est déjà occupée par un évêque de Madagascar et un curé de La Réunion. Cinq couverts nous ont été réservés. Sur notre table trônent cinq bouteilles de punch à base de fruits différents, certains réputés en Europe comme le letchi et le fruit de la passion, d’autres moins connus comme la girembelle. Dans la salle trônent un crucifix, des statues de Notre Dame de Lourdes, de Jean-Paul II et Mère Teresa, une image de Lydia dansant le maloya avec une touriste allemande devenue son amie, des robes qu’elle coud pour des petites filles de Madagascar, quelques toiles d’artistes locaux ou malgaches.

Lydia est tout un personnage. Elle a quatre-vingt trois ans et sa mobilité est réduite par une fracture multiple de la jambe, mais elle fait preuve d’une énergie débordante. Elle interprète a capella des chansons françaises et réunionnaises des années vingt, nous parle de la famille, de son mari maçon et de leurs neuf enfants, de ses vingt années passées comme restauratrice en Normandie, de ses relations avec un village de Madagascar qui fabrique des marmites que les Réunionnais apprécient pour la cuisson de leurs caris. Au menu ce midi : des gratins de chouchou (la chayotte) servis en petites marmites individuelles, un cari de canard et un cari de poisson (viande ou poisson en sauce, riz blanc, haricots blancs, rougail – sauce pimentée) ; en dessert, un « gâteau patate », élaboré à base de patates douces, d’amandes amères et naturellement de rhum. Le fils de Lydia, Gilles, cuisine et devrait prendre sa succession à sa mort. Un autre fils vient la saluer pendant notre déjeuner, en tenue de cycliste et couvert de boue : il vient de participer à la « Megavalanche », une course de VTT en descente abrupte depuis le sommet des montagnes.

Lydia est profondément réunionnaise, par son habitat, dans une case agrandie au fil des années située loin des villes et de la frange côtière ; par son art en cuisine créole ; par sa religiosité ; par les liens vivants qu’elle entretient avec la Métropole et Madagascar où vivent certains de ses enfants ; par sa facilité à prendre l’avion, malgré son âge avancé, pour entretenir et consolider ces liens.

Chronique réunionnaise (1)

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Survol de l’île
Au cours des prochains jours, « transhumances » consacrera plusieurs articles à l’Ile de la Réunion, où je viens de passer quelques jours de vacances.

Au cours de nos randonnées dans les Cirques de l’Ile de La Réunion, j’ai souvent vitupéré les hélicoptères qui troublaient nos rudes et bucoliques promenades. Trente et un ans après ma première visite, je finis par me laisser convaincre.

Les hélicoptères Ecureuil d’Hélilagon emmènent 6 passagers. Le grand tour de l’île inclut les trois Cirques, Mafate, Salazie et Cilaos, le Volcan et le Lagon. Le décollage a lieu non loin du village de l’Eperon, un peu au dessus de la nouvelle route des tamarins. Nous survolons les champs de canne à sucre, puis la région des géraniums et enfin la forêt de tamarins. Soudain, nous nous trouvons avec des centaines de mètres d’à-pic sous l’appareil, et c’est comme si le sol se dérobait. Nous entrons dans le Cirque de Salazie par le col du Cimendef, et nous découvrons de riches terres agricoles consacrées en grande partie à des vergers et à des cultures vivrières comme la lentille et le chouchou (chayotte).

Le pilote nous annonce une « séquence émotion », et nous ne sommes pas déçus : nous survolons le « trou de fer », un ravin vertical circulaire de plusieurs centaines de mètres dont les parois sont habitées de végétation et traversées de cascades. L’appareil fait deux fois le tour du ravin et c’est très vertigineux.

Nous survolons ensuite la forêt de Bélouve et la ravine de Takamaka où il tombe plus de 8 mètres d’eau par an. Nous passons au dessus du plateau de la Plaine des Palmistes, avec ses prairies et ses maisons coquettes. Nous arrivons au Volcan de la Fournaise, un univers totalement minéral ; le volcan n’est pas en activité actuellement, mais la chaleur du cratère dégage de la vapeur d’eau. Par la Plaine des Cafres, nous rejoignons la crête du Dimitille, puis nous trouvons brusquement en aplomb du Cirque de Cilaos, avec l’Ilet de Bras Sec et l’Ilet à Cordes séparés du village par des précipices. Nous sortons du Cirque par les Trois Salazes, avec à notre droite de Piton des Neiges. Nous entrons de nouveau dans le Cirque de Mafate et survolons Marla et La Nouvelle, puis le Maido.

Le tour de l’Ile s’achève par un survol du Lagon et de Saint Gilles. En quarante cinq minutes, nous avons vu une incroyable diversité de paysages, de végétations et de lumières. Quand l’hélicoptère se pose, j’ai le sentiment d’avoir visionné en accéléré le film de dizaines de voyages et de la découverte obstinée des centaines de mondes que recèle cette île qui, dans sa plus grande longueur, ne fait que soixante dix kilomètres.

 

Pittsburgh

Le sommet du G20 se déroule à Pittsburgh. Le récit que l’on va lire date d’un voyage dans l’est des Etats Unis en août 2002.

Les orages de la nuit ont abaissé la température, et à l’inverse de ce qui s’est passé jusqu’ici, nous recherchons le côté ensoleillé des rues. Nous laissons la voiture dans un parking d’Oakland, le quartier universitaire de la ville de Pittsburgh.

Au centre d’Oakland se trouve une tour de 42 étages construite au début du 20ième siècle, de style néo-gothique, the Cathedral of Learning, la Cathédrale de l’acquisition des connaissances. L’intérieur est une immense nef digne des belles cathédrales françaises. Mais on n’y trouve ni chœur, ni autel, ni statues. De petites tables rondes sont disposées tous les deux mètres environ, et permettent de travailler ou de se rencontrer dans une ambiance de ferveur intellectuelle. Tout autour de la nef sont disposées des salles de classe, chacune dédiée à l’un des peuples présents à Pittsburgh. Le style, l’aménagement et la décoration de chacune des pièces sont inspirés par l’âge d’or de chaque pays, l’époque victorienne pour l’Angleterre, le 18ième siècle pour la France. Tout a été étudié avec soin, les matières, les formes, les objets décoratifs, les couleurs, pour créer une ambiance puissamment évocatrice et donner de chaque pays l’image que l’Université de Pittsburgh souhaite lui attribuer. The Cathedral of Learning est un hymne au savoir, mais aussi à la diversité des cultures que l’Amérique n’a cessé de réinterpréter.

Nous visitons la Heinz Memorial Chapel, inspirée de la Sainte Chapelle, avec de merveilleux vitraux à dominante bleue, qui représentent les héros d’aujourd’hui, de Louis Pasteur à Abraham Lincoln.

Nous descendons à Down Town par le bus, que nous présumons être le moyen le plus économique. Le billet coûte 1,60 dollars. Comme la machine à côté du chauffeur ne rend pas la monnaie, l’aller simple nous revient à 2 dollars par personne. Il aurait été trois fois moins coûteux d’aller en voiture jusqu’à un parking du centre ville. Du moins nous sommes nous offert ainsi une nouvelle expérience.

Dès notre arrivée à Down Town, nous nous rendons au musée Andy Warhol. L’artiste a vécu et travaillé à New York, mais est né ici. Comme celui de Norman Rockwell, son art est enraciné dans le quotidien. Une boîte de soupe concentrée devient un objet fascinant ; une paire de chaussures féminines prend des formes délirantes et reçoit des talons à ressort ; les artistes transcendent leur statut d’humains et deviennent des stars.

Nous traversons la ville avec ses gratte-ciel et son palais de justice de style roman. Nous empruntons un funiculaire plus que centenaire, le Monongahela Incline, et accédons à un fantastique point de vue sur Pittsburgh, au confluent de deux fleuves qui constituent l’Ohio. En contrebas, d’immenses trains de marchandises ne cessent de passer au ralenti, saluant Pittsburgh de longs hurlements de sirène.

Pittsburgh garde le souvenir de son premier âge industriel marqué par une pollution effrayante et des conditions de travail ouvrier qui la faisaient redouter comme l’enfer. Ses capitaines d’industrie, Carnegie, Forbes, Heinz, Mellon, Westinghouse, étaient aussi des philanthropes qui laissèrent bibliothèques, stades, musées, monuments. Aujourd’hui, Pittsburgh est une ville d’espaces verts, de fleuves, de collines, au confluent de peuples et de cultures. C’est certainement une ville où il fait bon vivre.