A La Réunion, Hell Bourg

 

Hell Bourg, le cimetière. Photo « transhumances »

 

Au fond du Cirque de Salazie, à l’Ile de La Réunion, le village d’Hell Bourg est une destination touristique appréciée.

 Des trois cirques formés par effondrements et ravinement autour de l’ancien volcan, le Piton des Neiges, celui de Salazie est le plus verdoyant. On y accède par le fond de la rivière du Mât. Après le bourg de Salazie, la route côtoie une gigantesque falaise où s’écoulent des cascades qui, par temps de pluie, forment un continuum : « le Voile de la Mariée ». On pénètre ensuite dans un écrin végétal où se côtoient des forêts, des terres d’élevage et des cultures. Ce qui domine ici, c’est le « chouchou » (chayotte), délicieuse cucurbitacée que l’on prépare selon une variété de recettes, en particulier en gratin.

 La route se sépare en deux branches. L’une monte à Grand Ilet en passant par plusieurs hameaux qui produisent des cultures vivrières, à l’air libre ou sous serre ; après Grand Ilet, on continue jusqu’au Col des Bœufs où commencent les chemins vers le Cirque de Mafate. L’autre embranchement mène à Hell Bourg. C’était autrefois une station thermale. C’est aujourd’hui une station touristique fréquentée où se retrouvent des randonneurs et des promeneurs seulement heureux de découvrir de jolies cases créoles entourées de somptueux jardins. L’une de ces cases est la Maison Folio, que l’on peut visiter librement ou sous la conduite d’un guide.

 Le lieu le plus émouvant d’Hell Bourg est le cimetière. Il est construit sous la masse majestueuse du Piton d’Anchaing. Chaque tombe est plantée de fleurs et d’arbustes que la pluie, généreuse en ce lieu, se charge d’arroser. C’est une symphonie de couleurs et de fragrances. Le poète Auguste Lacaussade (1815 -1897), métis, partisan de l’abolition de l’esclavage, célébré comme un des pères de la « créolité », y est enterré.

A La Réunion, La Nouvelle

 

Cirque de Mafate entre La Nouvelle et Marla. Photo « transhumances »

 

Le hameau de La Nouvelle est le plus accessible du Cirque de Mafate. Il devient peu à peu une base pour les randonneurs.

 Il y a quelques années, il fut décidé d’abandonner le projet de route reliant Grand Ilet, dans le Cirque de Salazie, à La Nouvelle, dans le Cirque de Mafate. Le site n’est relié au reste de l’île que par des sentiers et par des rondes d’hélicoptères qui livrent presque tout ce qui est consommé sur place, des aliments aux matériaux de construction. Au fil des années, il s’est enrichi de gîtes qui offrent aux randonneurs une étape pour la nuit ou une base pour rayonner dans les autres îlets de cette dépression extraordinairement escarpée.

 L’eau est chauffée au soleil, ce qui garantit une désagréable surprise aux marcheurs arrivant en fin d’après-midi. L’électricité est elle-même produite par des capteurs solaires, complétés par quelques générateurs au gazole. Le dîner est servi vers 19h, peu après le coucher du soleil, dans une salle commune. Il commence par un punch et se termine par un rhum arrangé ; il se compose d’une entrée (pour nous, du gratin de chouchoux), d’un cari (pour nous, rougail de saucisses et civet de canard) et d’un dessert (pour nous, gâteau aux pommes). Il est généralement excellent, et d’autant plus apprécié que la randonnée creuse l’appétit.

 A La Nouvelle, on fait l’expérience de la rareté. Les ampoules délivrent un minimum de lumière, pas assez pour lire confortablement. C’est aussi l’expérience d’un décalage horaire : on se couche dès 21h, et on est sur pieds peu après 6h.

 La descente vers La Nouvelle depuis le Col des Bœufs, sur environ 500m de dénivelée, se fait en général dans la brume si l’on se met en route l’après-midi. Parfois, une trouée laisse entrevoir les pentes abruptes d’un « piton » couvert de verdure. Les branches entremêlées des tamarins diffusent un sentiment d’étrangeté.

 Au petit matin, le ciel est totalement découvert. Sous le soleil rasant, le Piton des Neiges, la crête des trois Salazes, le rempart du Grand Bénard au Maïdo apparaissent dans un extraordinaire relief. Sur le chemin de Marla, des paysages somptueux apparaissent à chaque détour. Le sentier rejoint la rivière des Galets, tout près de sa source. Se baigner dans l’un des bassins naturels lave le corps et l’esprit. C’est un moment de pur bonheur.

Danyel Waro en concert

Danyel Waro, musicien et poète qui a popularisé à La Réunion la musique des esclaves, le maloya, a donné un remarquable concert le 8 décembre au Théâtre de Plein Air de Saint Gilles.

 Accompagné de cinq musiciens, Waro tint  la scène pendant pas moins de quatre heures, alternant des morceaux rythmiques au bord de la transe et des mélodies douces et mélancoliques. Un moment particulièrement émouvant fut sont interprétation en créole, s’accompagnant au tambour, de « nuit et brouillard » de Jean Ferrat. La voix du chanteur est parfois à la limite de la déchirure, et un frisson traverse le public comme portée par une onde. Dans une interview avec Le Quotidien de la Réunion, il décrivait ainsi le projet de cette soirée dans un auditorium de mille places sous les étoiles : « mi sa rakont sak i toush a mwin, sak i anrag a mwin, sak y rampli a mwin lénergi. Mi plèr, mi ri. Mwin la u la shans rancontr lamour. Mi rakont la limièr lé an mwin » (je raconte ce qui me touche, ce qui me fait enrager, ce qui me remplit d’énergie. Je pleure, je ris. J’ai eu la chance de rencontrer l’amour. Je raconte la lumière qui est en moi).

Danyel Waro accorde une grande importance aux textes de ces chansons, à leur force poétique. En cela, et aussi pour l’aspect physique, il fait penser à Léo Ferré ou Julos Beaucarne. Il est aussi si attentif à la qualité du son qu’il tient à fabriquer lui-même ses instruments. Le site botanique.be mentionne le kayanm, instrument plat construit à partir de tiges de fleurs de canne et rempli de fraines de safran sauvage ; le bobou calebasse avec une corde tendue sur un arc ; le roulèr, gros tambour à partir d’une barrique de rhum sur laquelle on tend une peau de bœuf. A un moment du concert, le chanteur s’accompagne seulement du roulement de grains de riz au fond d’un van.

Botanique.be demande à  Danyel Waro ce qui caractérise son art : « Pour moi, le maloya, c’est d’abord le mot. Je cherche la cadence, l’image, le rythme dans le mot. Grâce au maloya, j’ai pris du recul par rapport à la philosophie cartésienne et aux jugements trop personnels. Le maloya m’a remis en accord avec la Réunion, les gens, notre langue.« 

Né en 1955 d’un père agriculteur dans les hauts du Tampon, sur les flancs du Piton de la Fournaise, Danyel Waro vit une enfance austère, dans une case sans eau ni électricité. Il se passionne pour la musique en écoutant Georges Brassens sur un poste à transistors. Emprisonné en France pendant deux ans pour avoir refusé de faire son service militaire, il adhère à son retour au Parti Communiste Réunionnais, et c’est par l’engagement politique qu’il découvre le maloya, la musique des esclaves interdite d’antenne par l’administration française, et devenue symbole de révolte et d’émancipation. Aujourd’hui, il n’est plus affilié au parti, et s’exprime sur les questions politiques de manière indépendante. Peut-être est-ce de l’embourgeoisement, peut-être de la sagesse, observe-t-il.

 Il a reçu en 2010 le Womex Award, prestigieuse récompense décernée par les professionnels des musiques du monde. Le concert de Saint Gilles a confirmé les qualités exceptionnelles de cet homme, professionnel de la musique rigoureux et poète inspiré.

Au Musée de Villèle de Saint Gilles les Hauts, une exposition est consacrée au maloya, avec en particulier la présentation d’œuvres de Nelson Boyer, sculpteur né en 1973.

Sculpture de Nelson Boyer présentée au Musée de Villèle. Photo « transhumances »

A La Réunion, Cilaos

Mairie de Cilaos, monument en hommage aux porteurs de chaises. Photo « transhumances »

Le Cirque de Cilaos, l’un des trois effondrements spectaculaires de l’Ile de La Réunion, est depuis près de deux siècles un lieu de remise en forme.

 Comme les Cirques de Mafate et de Salazie, celui de Cilaos n’a rien d’homogène. Le bourg de Cilaos est séparé des « îlets » de Palmiste Rouge, Bras Sec ou Ilet à Cordes par de profondes ravines et d’abrupts escarpements. Mais l’ensemble est enclos par de gigantesques falaises verticales couvertes de végétation, les « remparts » qui le séparent des deux autres cirques et du massif du Piton de la Fournaise.

 En cette belle journée de novembre, les randonneurs affluent sur les sentiers. Une grande majorité est composée de personnes de troisième âge, mais on trouve aussi des jeunes couples, parfois accompagnés de petits enfants. Plutôt sec, escarpé, baigné de senteurs tropicales, traversé de torrents, le Cirque de Cilaos est un paradis pour le tourisme de remise en forme. Ce qui est remarquable, c’est qu’il en est ainsi depuis près de deux siècles.

 Jusqu’au dix-huitième siècle, les pentes inaccessibles du Cirque servirent de refuge aux « noirs marrons », les esclaves échappés des domaines coloniaux. Dès 1835 pourtant, des Réunionnais fortunés vinrent à Cilaos pour une cure thermale dans un lieu qui offrait aussi, du fait de son altitude (1200m), une fraîcheur bienvenue. Dans « Une île tout en auteurs » (Editions du Boucan 2006), on lit : « pour venir boire ces eaux, il fallait alors emprunter, jusqu’à l’ouverture de la route carrossable en 1932, l’impressionnant sentier tracé à franc de falaises par l’ingénieur Guy de Ferrières. Pour plus de confort et de sécurité, on s’y faisait transporter en chaise à porteurs ; de deux à six hommes (selon le poids du client et l’inclinaison de la pente) se relayant tous les deux kilomètres. Le voyage durait en moyenne sept heures. En 1900, sur cent cinquante porteurs, cinquante étaient cilaosiens. »

 Accéder au Cirque de Cilaos en voiture depuis Saint Louis prend environ une heure. Il faut négocier plus de 400 virages et franchir de nombreux passages, dont deux tunnels, où les véhicules ne peuvent se croiser. Le temps des chaises à porteur est révolu, les curistes on cédé le pas aux randonneurs, mais l’objectif de la visite à Cilaos reste le même qu’il y a un siècle et demi : respirer, transpirer, se remettre en forme.

 La présence des curistes et l’inaccessibilité du lieu avaient suscité autrefois le développement de cultures vivrières, et même de la vigne et du vin. Angèle MacAuliffe avait créé un atelier de broderie dont les produits, les Jours de Cilaos, sont devenus connus bien au-delà de l’Ile de La Réunion. Aujourd’hui aussi, la population des touristes constitue le principal débouché de l’économie locale : les lentilles « pays » se vendent à €14 le kilo, le prix des dentelles est un multiple de celles produites à Madagascar et le vin, bien qu’encore médiocre malgré de constants progrès, coûte autant qu’un Bordeaux. Les randonneurs sont reconnaissants à Cilaos pour l’intense bonheur que procurent ses sentiers et ses paysages à couper le souffle ; ils veulent emporter avec eux un peu de ce bonheur.