Jubilée

 

Street Party à Edimbourg, photo The Telegraph

Les fastes, la parfaite organisation et l’enthousiasme général des Britannique pour le Jubilée de Diamant de la Reine Elizabeth II ont été unanimement soulignés par les commentateurs. C’est pourtant la multiplication d’événements locaux, les « street parties », qui suscite le plus mon admiration.

 Partout au Royaume Uni, les citoyens ont dressé des tables dans la rue, pavoisé les maisons et le mobilier urbain et partagé leur repas, la bière et le vin. Dans certaines villes, comme Greenwich, plusieurs milliers de personnes ont ainsi occupé la chaussée et fraternisé avec des inconnus. Dans des localités plus petites, l’initiative est venue d’individus qui ont contacté leurs voisins, demandé l’autorisation de la maréchaussée et organisé des agapes dont on se souviendra longtemps, pour le repas partagé par des gens ordinairement séparés par leur quant-à-soi et pour la ferveur commune dans une extraordinaire célébration.

 Dans « The Big Issue » (4 – 10 juin), le journal des sans-abri, son fondateur et rédacteur en chef John Bird, s’exprime ainsi : « dans l’esprit de la plupart des gens, « jubilée » est devenu une variante de « jubilation » : des raisons d’être joyeux, pour ainsi dire. Mais il y a un sens plus profond qui remonte aux Egyptiens et, à partir d’eux, aux Hébreux. Et c’est « pardon ».

 « Pas seulement « vous êtes pardonnés », mais « vos dettes sont pardonnées ». De temps à autre, un jubilée, qui se produisait habituellement tous les 25 ou 50 ans, signifiait que l’on restituait aux pauvres la liberté et les terres qu’ils pouvaient avoir auparavant. Et leurs dettes étaient annulées.

 C’était une tentative pour restaurer la justice, ou un certain niveau de justice, de façon à atteindre de nouveau un équilibre social, plutôt que d’avoir un petit nombre de gens très riches et une masse de gens pauvres. Il s’agissait de mettre fin à l’anomalie qui consiste en ce que les pauvres deviennent plus pauvres et les riches plus riches.

Tout en se défendant d’anti-monarchisme, John Bird suggère que, à l’occasion de son jubilée, la Reine attribue aux paroisses, aux villes et aux hameaux les biens confisqués à l’Eglise durant la Réforme et devenus patrimoine royal.

 Il faut réallouer des ressources précieuses, dit John Bird. Et une année du jubilée pourrait être le bon moment pour un certain pardon des dettes et une certaine redistribution. »

Street Party à Chalfont St Giles, Buckinghamshire. Photo The Telegraph

Nouvel An sous la pluie

Il fait déjà presque nuit bien que la montre ne marque que 15h30. Il pleut. Dans Cassiobury Park, je croise des amoureux encapuchonnés et enlacés, de jeunes enfants qui ont convaincu leurs parents de les laisser essayer leur rutilant vélo de Noël malgré la certitude de revenir à la maison trempé, des propriétaires de chiens qui n’ont pas voulu comprendre que c’est un temps à ne pas les mettre dehors.

 La pluie crépite sur mon parapluie et j’éprouve le plaisir enfantin de se sentir lové dans un espace protégé, sec et serein. Comme un enfant, je sautille pour éviter  les flaques d’eau.

 Dans mon cœur, je chante sous la pluie. L’an 2012 commence par un plaisir simple.

Industry Dinner 2011

J’ai évoqué en novembre 2009 dans « transhumances » l’Industry Dinner annuel des compagnies et des courtiers spécialisés en assurance-crédit. L’édition 2011 avait une signification particulière pour moi : la succursale de Coface au Royaume Uni était chargée de l’organisation de cette réunion très attendue.

 Il n’existe rien de semblable dans d’autres pays : les compagnies d’assurance spécialistes de l’assurance-crédit au Royaume Uni et les courtiers se réunissent pour un dîner de gala. Pour les membres du personnel, participer à l’Industry Dinner est perçu comme une promotion. Il y a une forte pression pour accroître d’année en année le nombre des participants : ils sont près de 400 cette année. Nous avons choisi comme lieu du dîner un « big top » (chapiteau) installé au cœur du quartier londonien de Bloomsbury, où se déroulent des événements aussi différents que des tournois de boxe ou des repas de Noël.

 L’événement commence à 19h par un apéritif pendant lequel les participants retrouvent leurs anciens collègues. Dans beaucoup de pays, dont la France, on tend à faire sa carrière dans la même compagnie d’assurance-crédit, et passer de l’une à l’autre est mal vu. Au Royaume Uni, passer d’une compagnie à un broker (courtier) ou à une compagnie concurrente est une pratique normale. Chacun arrive à l’Industry Dinner avec le plaisir de rencontrer des dizaines de personnes avec qui il a travaillé à un moment ou à un autre de sa carrière.

 Le dîner comporte trois figures obligatoires : le discours du patron de l’entité qui organise, un numéro d’humoristes et une vente aux enchères pour une « Charity » (œuvre de bienveillance). Pour animer la soirée, nous avons invité Garry Richardson, un peu l’équivalent de ce qu’est en France Nelson Montfort. Garry a interviewé à l’improviste Bill Clinton un jour de pluie à Wimbledon sur sa pratique du tennis et Nelson Mandela sur la boxe. Aujourd’hui, après quelques anecdotes sur son métier à la radio et à la télévision, il interview une célébrité du cricket, Phil Tufnell. Les deux se livrent à un duel d’humour sportif qui enchante l’auditoire. La Charity est « SkillForce » : des retraités de l’armée britannique, âgés en général de 30 à 40 ans, se reconvertissent dans le soutien scolaire à des jeunes de 14 à 16 ans en difficulté. Plusieurs sociétés présentes ce soir ont offert des lots. Leur mise aux enchères rapportera plus de 15.000 sterlings pour l’association.

 La soirée se clôture au choix par le disco ou le bar. La bière coule à flots. Les inhibitions tombent. Un grand gaillard serre longuement dans ses bras des collègues d’autrefois et pleure sur le temps passé. La dure loi de la concurrence se dilue dans l’alcool et de nombreux secrets habituellement bien gardés circulent dans l’euphorie de ce moment spécial. Comme au football se crée un véritable « mercato » dans lequel demandes et offres d’emploi s’échangent en trinquant à la santé de l’assurance-crédit et des cautions.

 Il y a une vraie diversité et beaucoup de passion dans ce métier. C’est ce que j’ai voulu évoquer dans une parabole adaptée d’une blague française qui, dans sa version originale, mettait aux prises des anciens de l’X, d’HEC et de l’ENA. « Ce week-end, j’ai passé quelques heures au bord de la mer avec trois amis. Le premier était un assureur-crédit intelligent ; le second, un courtier habile ; le troisième, un brillant fonctionnaire, un des inventeurs du « credit insurance top-up scheme » (un schéma de complément d’assurance-crédit mis en place par le gouvernement Brown pendant la crise et qui n’eut pas de succès). Nous étions proches d’un phare. Les trois amis décidèrent de faire un pari : le vainqueur serait celui qui serait capable de donner la hauteur exacte du phare.

 L’assureur-crédit intelligent appela son actuaire au téléphone. Ils utilisèrent leur expérience de pertes avérées, les scores de solvabilité, la perte maximum probable et construisirent un algorithme compliqué. Le résultat fut d’une étonnante précision : 33 mètres et 23 centimètres de hauteur.

 Le courtier habile eut une approche différente, basée sur le contact humain et sur le partage d’une Guinness. Il rendit visite au gardien du phare, parla de ses ancêtres et du golf à St Andrews et lui demanda incidemment la hauteur de son lieu de travail : il mesure 109 pieds et 7 pouces, répondit le gardien de phare.

 Le brillant fonctionnaire ne se sentit pas du tout embarrassé par la performance de ses amis. Sa Majesté, dit-il, me commande d’émettre un décret : le phare doit avoir 50 mètres de hauteur ! »

 Photo : un dîner de gala au Bloomsbury Big Top.

Métro transmanche

La communauté française de Londres est agitée par un ambitieux projet : le métro transmanche.

 L’idée part d’un constat : il y a davantage d’emplois dans la région d’Ashford,  dans le Kent, que dans la région de Calais. Il existe un tunnel reliant les deux régions, qui ne serait utilisé qu’à 50% de sa capacité. Plusieurs rames du TER Nord Pas de Calais seraient disponibles immédiatement pour un parcours Calais – Ashford. Il s’agirait donc de faire circuler une navette de TER entre Calais et Ashford pour acheminer des Français vivant dans le Pas de Calais vers leur travail dans le Kent, et les Anglais possédant une résidence sur la Côte d’Opale vers leur havre de paix.

 L’expression « métro transmanche » est donc par elle-même trompeuse : il s’agirait d’un train régional, la seule analogie avec le métro étant l’usage du tunnel. Lorsqu’on examine la faisabilité d’un tel projet, les obstacles s’accumulent. Qui prendrait en charge le coût d’utilisation de cette infrastructure coûteuse qu’est le tunnel ? Est-on certain qu’il reste 50% de capacité du tunnel aux heures de pointe ? Quel serait le temps de trajet, sachant qu’il est improbable que les mesures de sécurité dans la zone de Sangatte soient allégées ? Combien d’emplois seraient disponibles à Ashford pour des français résidant de l’autre côté de la Manche, et le nombre de voyageurs rendrait-il l’infrastructure justifiable, si ce n’est rentable ? Si des emplois sont vraiment à pouvoir, pourquoi ne pas frêter des autocars dès à présent et utiliser le « Shuttle » transmanche ?

 Le projet est porté uniquement par des Français. Ce n’est probablement pas un hasard. Il n’est pas sûr que les responsables économiques du Kent soient affamés de main d’œuvre immigrée de France. Mais il y a surtout une différence culturelle : s’enthousiasmer pour des grandes idées est une caractéristique de l’esprit français (ce goût de liberté aux peuples étrangers qui donnait le vertige, chantait Jean Ferrat). A un esprit anglais, le projet de métro transmanche semblera sans doute une distraction et une perte de temps.

 Photo : rame du TER Nord Pas de Calais, La Voix du Nord.