Dans The Guardian du 22 juillet, Simon Jenkins affirme que l’union monétaire, toujours impraticable, a mis en route un désastre européen. Son point de vue, stimulant et critiquable, fait référence au souvenir de la Réforme et de la Contre-réforme.
L’idée de base de Jenkins est que l’euro oblige les nations européennes à adopter des politiques fiscales contraignantes que les citoyens n’ont pas choisies. Il y a là une distorsion de la démocratie qui est en train de provoquer un divorce des opinions publiques d’avec le projet européen qui augure des conflits toujours plus insolubles dans l’avenir.
Après avoir noté que le langage de haut vol du premier projet de Traité de Lisbonne rédigé par Valéry Giscard d’Estaing était celui d’une encyclique papale, Jenkins écrit : « comme avant la Réforme, l’imposition de l’Europe du Nord pour soutenir les subventions et l’activité de la mère église durèrent un temps, mais elle ne pouvait durer pour toujours. Les contribuables allemands peuvent secourir les Grecs, parce que la moitié des dettes grecques appartiennent à des banques étrangères. Mais les contribuables ne vont pas aussi secourir des Portugais, les Espagnols et les Italiens. Le projet de faire revivre le Saint Empire Romain est condamné à l’échec. Les thèses de Luther vont bientôt être clouées sur les portes, non de Wittenberg mais du palais Berlaymont de Bruxelles. « Une union toujours plus étroite » a toujours été un dangereux fantasme, un impérialisme autoritaire forgé dans les imaginations trop pleines des cardinaux de la foi paneuropéenne. Ils pensaient qu’ils pourraient nier la réalité politique. Son arrogance réside dans la croyance que d’une certaine manière l’union monétaire pourrait laisser l’identité nationale intacte, qu’un parlement européen corrompu pourrait offrir suffisamment de responsabilité (« accountability ») démocratique. Une vigoureuse démocratie interne est l’une des forces des Etats européens d’après guerre. Une distante discipline ne fonctionnera pas. Toute union plus étroite tombe carrément dans la définition de l’historienne Barbara Tuchman d’une grande folie historique, « une politique dont on peut démontrer qu’elle impraticable » et qui est connue comme telle à l’époque. C’était la politique suivie par les leaders européens, comme tant de folies auparavant, comme un « enfant chéri du pouvoir ». La tentative d’imposer une discipline fiscale dans toute l’Europe va provoquer sa mort. »
L’article de Simon Jenkins est amusant par sa référence aux temps des guerres de religion, même si la Grèce, épicentre du séisme actuel, appartenait alors à l’Empire Ottoman et n’avait guère d’allégeance envers la papauté. Il pose surtout de vraies questions sur la démocratie. Le récent sommet de Bruxelles a ainsi décidé que tous les Etats de la zone Euro devraient revenir à 3% de déficit des finances publiques en deux ans, mais les électeurs n’ont nullement été consultés. Le manque de consultation des citoyens fait le lit des extrémismes et du populisme.
Il est aussi profondément erroné. Il part du présupposé que, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, le cadre national est le seul adéquat pour exercer la démocratie. Or, d’immenses centres de pouvoir se sont constitués ignorant les frontières des nations, qu’il s’agisse des multinationales industrielles ou financières ou du crime organisé. En parallèle, le pouvoir s’est aussi rapproché des citoyens par la décentralisation au profit des régions et des communes, au point qu’une sécession de l’Ecosse du Royaume Uni n’est plus inimaginable. Le projet européen n’est pas un monolithe pontifical comme le suggère Jenkins. C’est une réorganisation des pouvoirs dans la diversité, de manière à respecter et encourager les cultures multiples du continent et, parallèlement, pouvoir peser ensemble à l’échelle internationale. L’euro fait partie de ce projet. Il ne relève pas du fantasme mais d’une bonne intelligence d’un monde où la monnaie est au cœur des relations internationales.
Jenkins raille l’obsession de Tony Blair de faire rentrer la Grande Bretagne dans l’Euro. La crise de la monnaie unique européenne rend actuellement inaudible la voix de ceux ses partisans en Grande Bretagne. Je ne suis pas certain que la question ne se repose pas dans les quelques années à venir.
Photo « The Guardian » : un euro frappé en Grèce.