Quand un grand client fait faillite

 La page « PME » du  Sunday Times du 9 novembre a publié un article de Rachel Bridge intitulé « comment réagir quand un grand client fait faillite ? »

« Les experts en faillites estiment qu’environ 80% des entreprises qui perdent un grand client ne survivent pas. Selon la Federation of Small Businesses, environ 10% des petites entreprises qui font faillite le font parce qu’un client n’a pas été capable de payer ses factures. Cela veut dire que l’an prochain quelque 3.600 PME au Royaume Uni vont faire faillite à cause d’une faute qu’ils n’ont pas commise. Le problème est d’autant plus grave que les petites entreprises n’ont souvent pas accès à l’assurance crédit, ce qui les laisse complètement vulnérables si quelque chose tourne mal. »

La première règle, disent les experts consultés par la journaliste, est de faire un diagnostic clairvoyant sur les possibilités de survie de l’entreprise après la catastrophe que représente la faillite d’un grand client et sur les conditions de cette survie. Elles passent le plus souvent par la négociation de délais de paiement avec des fournisseurs et d’une extension des lignes de crédit par la banque. S’il est indispensable de réduire la taille de la structure, il faut le faire d’un coup. La journaliste cite Keith Hunt, managing partners de Results International : « la règle d’or, coupez profond et coupez sec. Le pire que vous puissiez faire au personnel, c’est de débiter des tranches de salami, supprimant un poste une semaine et un autre la suivante (…) Vous devez communiquer très clairement ce que vous faites ». Il faut aussi ne pas craindre d’investir, comme cette agence de marketing qui, après la perte d’un grand client, se lança dans une opération commerciale pour en conquérir de nouveaux et recruta un directeur de la création poids lourd dans sa profession.

L’article souligne aussi l’importance d’une gestion active du crédit clients. Il faut par exemple facturer d’avance aux clients les sommes correspondant aux investissements que l’on est obligé de faire dans le cadre de contrats passés avec eux, et vérifier régulièrement leur solvabilité.

 

Banque Palmas : contre la misère, la circulation monétaire

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Le livre de Joaquim Melo « Viva Favela, Quand les démunis prennent leur destin en main », écrit en collaboration avec Elodie Bécu et Carlos de Freitas (Michel Lafon 2009) raconte l’aventure d’un bidonville devenu en trente ans un quartier respecté, grâce à l’action collective de ses habitants. La création d’une banque de micro crédit, la Banco Palmas, est la plus récente étape de cette rédemption.

La Banque Palmas se présente comme une « pratique de socio économie solidaire de l’association des habitants du Conjunto Palmeiras », dépendant de la ville de Fortaleza, dans le Nord-Est du Brésil. Il s’agit d’un « système intégré de crédit, production, commerce, consommation et bonheur humain » : vaste et ambitieux programme ! Il existe un site Internet en français, http://www.banquepalmas.fr/.

46 autres banques ont été créées dans plusieurs Etats du Brésil sur le modèle de la Banque Palmas. « Le principe est toujours le même : une banque gérée par les habitants, qui utilise une monnaie valable uniquement dans le quartier et distribue des prêts à la production et à la consommation (…) Une banque communautaire vise à aider les quartiers où existent de fortes inégalités, et où les habitants n’ont pas accès aux services bancaires classiques. Elles constituent le noyau central d’un réseau d’économie sociale et solidaire et l’articulent autour des entreprises pour créer de l’emploi dans la communauté. »

Le principe est de mettre en circulation dans un quartier une monnaie qui n’a cours que sur place. Le crédit libellé dans cette monnaie permet aux commerçants de s’agrandir et à des entreprises locales de s’équiper ; il donne du pouvoir d’achat aux habitants et les fait accéder au statut de consommateur des produits fabriqués et commercialisés sur place. Cette monnaie, le Palma dans le cas du Conjunto Palmeiras, est convertible au taux de 1 pour 1 avec le Real, la monnaie officielle du Brésil, ce qui renforce la confiance des commerçants et des producteurs et leur permet de se procurer hors du quartier les biens qui ne se trouvent pas sur place. La banque est à la fois une « caisse de crédit mutuel » pour les habitants du quartier, et le correspondant local de la Banque Populaire du Brésil, une vraie banque avec son bilan et son informatique, créée par le gouvernement du président Lula à destination des publics les plus fragiles.

Il s’agit de l’application d’une équation de base de l’économie : le produit intérieur brut d’un territoire est le produit de la masse monétaire par la vitesse de la monnaie. Le génie de Joaquim Melo et des habitants du Conjunto Palmeiras est d’avoir su définir un territoire tout petit, celui d’une communauté de 32.000 habitants dotée d’une forte cohésion par les luttes passées, et d’avoir accru la vitesse de la monnaie en la découplant de la monnaie légale.  Bien contrôlé, ce mécanisme peut créer de la richesse et combattre efficacement la pauvreté.

Je reviendrai dans les jours prochains sur ce livre passionnant, un excellent traité d’économie sociale mais aussi le récit d’une aventure collective et personnelle.

 

The Power of Yes : la crise financière mise en scène

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A Londres, le National Theatre joue à guichets fermés une pièce de David Hare, « The Power of Yes », sous-titrée : un auteur dramatique cherche à comprendre la crise financière. C’est en quelque sorte le Rapport Turner porté à la scène.

Le « pouvoir de dire oui », the power of yes, fut le slogan du Crédit Lyonnais du temps de sa splendeur. Le système bancaire se sentait tout puissant, saisi dans un vertige de croissance qui lui fit oublier que la banque, c’est avant tout l’art de choisir des risques et de savoir dire non.

Ce qui s’est passé le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers est vertigineux. Pendant quatre jours le système capitaliste fut en état d’arrêt cardiaque. Sans un soutien inconditionnel des Gouvernements, les guichets automatiques de banque auraient cessé de fonctionner en l’espace d’une semaine. La crise financière recèle une intensité dramatique digne des meilleures fictions. Mais comment la mettre en scène ?

David Hare, le scénariste du film « The Reader » (Le Liseur) a relevé le défi. Il a écrit en quelque sorte une pièce sur l’écriture de la pièce. L’auteur ne sait comment prendre le problème et commence par se documenter. Chaperonné par une journaliste du Financial Times, il rencontre des acteurs de la place de Londres, banquiers, chasseurs de têtes, investisseurs, traders, hauts fonctionnaires, juristes, industriels, qui l’initient à l’effet de levier, aux sub-primes, à la régulation légère, aux produits dérivés, aux hedge funds, à la titrisation et à la formule mathématique de Myron Scholes, censée éliminer le risque des marchés d’options. La pièce en ce sens est une sorte de Rapport Turner illustré, informatif et pédagogique.

Mais c’est là qu’intervient l’art du metteur en scène, Angus Jackson. Le plateau est un immense espace noir et vide. On utilise un minimum d’objets : une chaise, un tableau noir. L’animation est assurée par des écrans mobiles de grillage noir, sur lequel sont projetés l’équation de Black-Sholes, la bouche d’Alan Greenspan proférant des paroles définitives sur la sécurité du système financier, les queues de clients de Northern Rock demandant le remboursement de leurs dépôts, des écrans Reuter et le portrait de Fred Goodwin, responsable de la faillite de la Royal Bank of Scotland, traité dans le style d’Andy Warhol.

Par leur habillement, leur façon de se mouvoir et leur élocution, on croirait les personnages directement sortis de la City. Il y a des moments d’humour comme lorsqu’un des protagonistes observe, parlant des files d’attente aux guichets de Northern Rock que les Anglais ont une telle passion pour les queues que lorsqu’ils en voient une ils ne peuvent s’empêcher de s’y joindre. C’est du bon théâtre mené tambour battant, captivant, souvent drôle et parfois émouvant.

Un personnage clé de la pièce est George Soros, directeur d’un fonds spéculatif et philanthrope. Dans l’une des dernières scènes, il invite l’auteur à dîner. Le décor est somptueux avec l’Hudson et New York en arrière plan, mais aussi noir et glacial. Soros dit que ce n’est pas « business as usual », mais la fin d’une époque.

 

Provocateur Gouverneur

Le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, vient de lancer un brûlot dans le monde financier en réclamant la scission des banques entre une « banque de service », qui bénéficierait d’une garantie de l’Etat, et une « banque spéculative » susceptible de faire faillite.

« L’échelle impressionnante du soutien au secteur bancaire coupe le souffle. Au Royaume-Uni, sous la forme de prêts directs ou garantis et de capital, il n’est pas loin d’un trillion (c’est-à-dire mille milliards) de livres sterling, presque les deux tiers de la production annuelle de toute l’économie. Pour paraphraser un grand leader du temps de guerre, jamais dans le champ l’effort financier autant d’argent n’a été dû par si peu de personnes à un si grand nombre. Et, pourrait-on ajouter, avec si peu de réforme réelle jusqu’à présent ».

Le sommet du G20 n’avait pas non plus mâché ses mots : « là où un comportement agité et un manque de responsabilité a conduit à la crise, nous ne permettrons pas un retour à la manière habituelle de faire de la banque ».  Plusieurs séries de mesures sont en chantier. Il s’agit de construire une base de capital solide et de bonne qualité et de réduire le caractère cyclique de l’activité bancaire. On parle de règlementer les activités de marché de gré à gré. On prétend réformer les pratiques de compensation salariale, en clair les bonus, afin de réduire l’incitation à la prise de risque. On veut imposer aux géants financiers internationaux des normes prudentielles proportionnées au coût de leur possible faillite.

Voici que le Gouverneur Mervyn King joue au provocateur. Dans un discours prononcé à Edimbourg le 20 octobre, il considère que la vraie cause de la crise financière est l’irresponsabilité d’institutions financières gigantesques « trop importantes pour faire faillite ».  « Pourquoi les banques ont-elles voulu prendre des risques qui se sont avérées si nuisibles pour elles-mêmes comme au reste de l’économie ? L’une des raisons clés (…) est que les incitations à gérer le risque et accroître l’effet de levier se sont trouvées faussées par le soutien ou la garantie implicitement donnée par les gouvernements aux créditeurs des banques qui étaient vues comme trop importantes pour faire faillite ».

Le Gouverneur ne croit pas vraiment que la solution consistant à imposer aux banques un capital minimum soit totalement efficace. « Plutôt que de payer des dividendes et de généreuses rémunérations, les banques devraient utiliser leurs gains pour construire de plus grands coussins de capital. Mais plus grands de combien ? Nous ne le savons tout simplement pas. Un ratio plus élevé est plus sûr qu’un ratio plus bas, mais la fixation de n’importe quel ratio est vouée à l’arbitraire. »

Pour Mervyn King, la vraie réponse est de revenir au Glass Steagall Act qui, après la crise de 1929, avait séparé les banques de détail des banques d’affaires. Il faudrait obliger les banques à se scinder entre une banque portant les activités spéculatives et une autre consacrée au service (« utility »), c’est-à-dire dédiée à fournir aux entreprises et aux ménages un moyen de paiement pour les biens et services et à canaliser les flux d’épargne vers les investissements. Les usagers de la banque de service seraient garantis par l’Etat. Les acteurs de la banque spéculative opèreraient à leurs risques et périls ; comme n’importe quelle entreprise, leurs erreurs stratégiques seraient punies par la faillite.

Mervyn King prétend énoncer des vérités de bon sens. Il ne semble pas, pour le moment, que banquiers et politiques l’entendent de cette oreille !