Le rebond de l’industrie automobile britannique

 

Usine Jaguar à Birmingham. Photo The Guardian.

Alors que les difficultés de PSA font la une de l’actualité en France, l’industrie automobile britannique connait une croissance impressionnante.

 L’ancien président Sarkozy aimait affirmer que la Grande Bretagne n’avait plus d’industrie. Ce qui se passe dans le secteur automobile semble lui donner tort. Il est vrai que le pays ne produisait plus que 1,3 million de véhicules par an en 2001, après un maximum de 2 millions en 1977. Mais il est à peu près certain que le cap des 2 millions sera dépassé en 2015. La tendance est positive : la production était de 11,8% plus élevée sur les 4 premiers mois de 2012 que sur la même période l’an dernier.

 Il est vrai que la Grande Bretagne n’a plus d’industrie automobile nationale, au sens de la propriété du capital : Jaguar Land Rover appartient à l’Indien Tata, Mini à l’Allemand BMW, Vauxhall à l’Américain General Motors. Pourtant, nous assistons à une succession d’annonces d’investissements dans ce secteur. BMW a décidé de produire à Birmingham ses voitures de sport hybrides i8. Jaguar Land Rover a créé à Wolverhampton une usine de production de moteurs avec 750 emplois et ouvre des emplois dans ses usines de Solihull et Halwood près de Liverpool. General Motors a annoncé la continuité de son site d’Ellesmere Port, préservant 2.100 emplois et en créant 700 nouveaux. Nissan et Honda renforcent leur présence.

 Les ingrédients de ce succès sont la politique industrielle, la spécialisation sur le haut de gamme et la qualité des relations sociales.

 Le Gouvernement de Gordon Brown et maintenant la coalition des Conservateurs et des Libéraux Démocrates ont proclamé leur intention de réindustrialiser le pays et n’ont pas hésité à y mettre les moyens, comme la levée de fonds profitant du triple A de l’Etat britannique. Le faible cours du sterling les a aidés dans ce projet.

 L’industrie automobile britannique s’est spécialisée sur des modèles qui font l’envie des élites de pays tels que la Chine. Une Jaguar, une Range Rover, une Mini se vendent bien à la grande exportation. L’industrie nationale s’est aussi spécialisée sur les segments d’avenir, tels que l’électrique. La cotation des titres des compagnies peut se faire à New York, New Delhi ou Francfort ; les bureaux d’étude sont notamment à Birmingham parce qu’est là que se trouvent les ingénieurs les plus performants.

 Enfin, les relations sociales sont probablement plus imaginatives et moins bloquées qu’ailleurs. Les dirigeants de Jaguar Land Rover considèrent qu’il est logique d’investir dans l’entreprise maintenant que les choses vont bien, alors que pendant la crise financière de 2008, les travailleurs avaient accepté 70 millions de sterlings de sacrifices pour soutenir l’entreprise dans une conjoncture défavorable.  Dans Le Monde du 20 juillet, Eric Albert indique que « General Motors a annoncé, en mai, un investissement de 150 millions d’euros dans son usine Vauxhall après un accord voté à 94% par les 2.200 salariés. Celui-ci prévoit le gel des salaires pendant deux ans, suivi d’une hausse pendant les deux années suivantes légèrement supérieure à l’inflation. A cela s’ajoute la mise en place d’une « banque d’horaires » ; pendant les périodes creuses, les salariés ne travailleront pas et seront payés normalement ; en échange, pendant les pics, leurs heures supplémentaires ne seront pas payées, dans la limite du nombre d’heures qu’ils avaient en réserve. »

 Contrairement aux idées reçues, il reste une industrie automobile en Grande Bretagne, et elle est en plein expansion. Le ministère français du Redressement Productif pourrait y trouver des références utiles.

Le scandale du LIBOR

 

Bob Diamond, patron démissionnaire de Barclays. Photo The Guardian

Le scandale du LIBOR vient d’entraîner la démission du tout puissant patron de la Banque Barclays, Bob Diamond.

 La Banque Barclays vient d’être condamnée à un total de 290 millions de sterlings d’amendes par l’autorité de régulation bancaire britannique FSA, le ministère américain de la Justice et la commission des marchés dérivés de marchandise. Il lui est reproché d’avoir systématiquement truqué le LIBOR (London Interbank Offered Rate) pendant les années 2005 à 2008. Son patron, l’Américain Bob Diamond, a été contraint à la démission.

L’enjeu est énorme : ce sont quelque 350 mille milliards de dollars de transactions financières qui sont indexées sur le LIBOR. Une déviation de quelques « points de base » (centièmes de pour cent) peut faire perdre des sommes énormes à un trader et les faire gagner à un autre. De 2005 à 2007, Barclays a cherché à ce que le LIBOR soit côté plus haut qu’il n’était constaté en réalité sur le marché de l’argent interbancaire, car cela permettait à la banque de vendre ses produits dérivés plus chers que leur valeur réelle. Des milliers de clients, en particuliers des petites entreprises, ont été victimes de l’arnaque. A partir de la faillite de Northern Rock en 2007, Barclays a voulu prouver que sa situation financière était solide : elle a tiré le LIBOR vers le bas en prétendant qu’elle empruntait à des taux inférieurs à ceux qu’elle rencontrait effectivement sur le marché.

 Comment cela est-il possible ? Le LIBOR est un indicateur construit par l’association britannique des banques (BBA) dans les années quatre-vingt. Il s’agit d’indiquer le plus fidèlement possible à quel taux les banques se prêtent entre elles de l’argent. Il y a un LIBOR pour chacune des dix devises prises en compte ; il y a quinze « maturités » (durée, de la journée à plusieurs années) pour chaque devise. Pour chaque sorte de LIBOR est constitué un panel de banques qui soumettent, chaque jour peu après 11 heures du matin, le taux auquel elles peuvent emprunter à des consœurs. Reuters, opérant pour le compte de BBA, écarte les 25% de cotations plus basses et plus élevées et calcule une moyenne pondérée des autres cotations. Les panélistes sont supposés soumettre les taux qu’ils observent sur le marché. Barclays a systématiquement soumis des taux qui avantageaient ses traders pendant les années fastes ou occultaient sa fragile situation de trésorerie pendant la crise.

 Le scandale du LIBOR a déclenché une tempête médiatique et politique en Grande Bretagne. Le Parti Travailliste réclame une commission d’enquête semblable à celle qui fait un remarquable travail sur les médias à la suite du scandale des écoutes par News of the World. Le Parti Conservateur, d’abord arc-bouté dans une position de refus, serait prêt à l’envisager si elle se concentrait sur la doctrine du contrôle « light touch » prônée et mise en œuvre par Tony Blair et Gordon Brown.

 La crise déclenchée par l’avidité et l’immoralité des banques dans les années quatre-vingt dix et deux mille n’en finit pas de provoquer des dégâts en termes de déficits publics et d’emplois détruits. L’opinion publique britannique est en train de divorcer de ses banques. Elle a exulté au « Diamond Jubilee » de sa souveraine ; elle voue aux gémonies Bob Diamond, l’archétype d’une arrogance financière qu’elle supporte de plus en plus difficilement.

Volcans islandais, électricité britannique

Dans The Guardian du 12 avril, Damian Carrington explique les plans britanniques pour importer de l’électricité dans les années à venir par des câbles sous-marins. Parmi ces projets, celui d’importer de l’électricité produite par géothermie en Islande.

 Le ministre britannique de l’énergie, Charles Hendry, va visiter l’Islande en mai pour négocier la construction d’un câble sous-marin de 1000 à 1500 km, le plus long au monde, pour approvisionner la Grande Bretagne en électricité produite en utilisant la chaleur des volcans.

 Trois câbles sous-marins existent déjà. Depuis 1986, un câble achemine du courant électrique d’origine nucléaire depuis la France. Un câble avec les Pays-Bas est dédié à l’électricité éolienne, et bientôt deux avec l’Irlande. De considérables investissements vont être consentis pour importer de l’électricité « verte » dans les prochaines années : avec l’Espagne (projet Desertec d’énergie solaire), avec l’Islande, l’Irlande et les Pays-Bas, déjà mentionnés, et avec la Norvège. Dans ce dernier pays, l’énergie éolienne sera utilisée pour alimenter des pompes qui transporteront l’eau de fjords dans des réservoirs situés au-dessus du niveau de la mer ; lorsque le besoin de courant se fera sentir, on produira de l’électricité hydroélectrique à partir de ces réservoirs.

 A l’horizon d’une quinzaine d’années, la Grande Bretagne sera reliée à l’Europe par une douzaine de « connecteurs » sous-marins, qui lui permettront d’importer de l’énergie, mais aussi d’en vendre lorsque ses turbines éoliennes fonctionneront à plein régime. « Transhumances » avait déjà souligné l’incroyable et inavoué abandon de souveraineté par la Grande Bretagne lors de l’accord qui consacrait, il y a deux ans, la coopération avec la France dans le domaine de la force de frappe. Il faut bien constater que c’est à un impressionnant acte de foi européen que se livre la Grande Bretagne dans le domaine stratégique de l’approvisionnement en énergie. Le pays, qui a une longue histoire d’autosuffisance électrique, se connecte à un super-réseau européen et devient dépendante de son bon fonctionnement et de sa continuité.

Centrale géothermique en Islande, Photo The Guardian

Eloge de l’assurance-crédit : un métier en devenir

Dans un précédent article de transhumances, j’ai fait l’éloge de l’assurance-crédit, un métier passionnant. Je voudrais dire maintenant pourquoi c’est un métier en devenir.

 Je suis entré dans l’assurance-crédit en provenance de la banque en 1990. A cette époque, l’assurance-crédit opérait dans les frontières nationales et, en ce qui concerne l’exportation, sous la férule des Etats nationaux. Les vingt dernières années ont vu un mouvement accéléré de privatisation et d’internationalisation de l’activité. Les trois leaders mondiaux sont parfois caractérisés aujourd’hui de « multinationales bonzaï » : leurs effectifs ne dépassent pas quelques milliers de personnes, mais elles sont effectivement présentes dans tous les pays qui comptent dans l’économie mondiale. Elles ont en effet suivi leurs clients là où ils avaient des filiales à assurer ; mais les fonctions vitales, information, risques, recouvrement et indemnisation sont largement centralisées, ce qui permet des économies d’échelle.

 D’importants changements sont à l’œuvre actuellement dans « l’industrie » de l’assurance du crédit commercial (trade credit insurance industry), comme on la nomme en Grande Bretagne.

 Améliorer la pertinence des scores de solvabilité

 Il faut d’abord que les assureurs-crédit affrontent une limitation majeure de leur activité. Ils achètent en masse de d’information sur des millions d’entreprise dans le monde, mais même dans les pays où cette information est fiable (comme en France ou en Grande Bretagne), elle n’est disponible que des mois après la clôture des bilans. Comment être sûr que les scores de solvabilité produits à partir de cette information ancienne prédisent la situation de l’entreprise à l’horizon d’un an, celui dans lequel opèrent les assureurs-crédit ? Il y a deux réponses à cela : en élaborant une information plus sophistiquée sur les acheteurs concentrant davantage de risque ; et en surveillant la normalité statistique des scores produits en masse. Il faudra aussi introduire dans les algorithmes statistiques des paramètres représentant l’influence de facteurs macro-économiques : dans quelle mesure l’approche d’un risque systémique (par exemple la menace de crise bancaire en 2008) peut-elle précipiter la chute da la solvabilité d’entreprises considérées comme saines dans une conjoncture de croissance économique ?

 Intégrer les systèmes

 Le second défi est celui de l’intégration des systèmes entre les assurés et l’assureur. Techniquement, il est facile aujourd’hui de donner accès à l’assureur au « grand livre » de l’assuré : les factors travaillent sur cette base. Si l’assureur connaissait au jour le jour l’état des ventes de l’entreprise, il pourrait tarifer la police avec exactitude, décider des limites de crédit en fonction des besoins, déclencher automatiquement le recouvrement et l’indemnisation en cas d’impayé. Cette intégration se réalisera dans les prochaines années, soit de façon bilatérale entre l’assuré et l’assureur, soit par le truchement du courtier.

 Articuler assurance et financement

 Enfin, le troisième défi est celui d’une correcte articulation entre banque de financement et assurance du crédit. Banques et Assureurs ont et auront des contraintes plus strictes d’allocation de leur capital (Bâle III pour les banques, Solvabilité II pour les assureurs), mais la structure de leur bilan est différente : les assureurs reçoivent la prime avant de porter le risque, les banques sont rémunérées pour leur service et leur financement après qu’ils ont été exécutés. Il y a donc une complémentarité qu’il faut explorer d’autant plus activement que, culturellement, les deux activités parlent des langages différents : celui de la « garantie à première demande » pour les banques, celui de la « garantie conditionnelle » pour les assureurs. Incorporer de l’assurance-crédit dans leurs financements limiterait le montant de capital que les banques doivent immobiliser en face de leurs engagements  – si toutefois ils sont capables de quantifier l’atténuation du risque par l’assurance ; pour les assureurs-crédit, le réseau des banques est le seul canal viable d’accès aux PME et à leur considérable potentiel de croissance.

 Améliorer la pertinence des scores, travailler à l’intégration des systèmes, définir des stratégies communes avec des banques : le métier d’assureur-crédit s’annonce passionnant dans les années à venir !