La Cathédrale de Coventry, symbole de réconciliation

Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1940, Coventry, ville industrielle des Midlands, fut entièrement détruite par la Luftwaffe. On releva 600 morts. De la Cathédrale, il ne restait que quelques murs et la flèche.

 Le lendemain du raid, la décision fut prise de rebâtir la Cathédrale. Le résultat est spectaculaire et émouvant. La nouvelle Cathédrale ne remplace pas la première, qui reste là, démolie, comme témoignage de la cruauté humaine.

 Dans ce qui fut le chœur de l’ancienne Cathédrale, maintenant à ciel ouvert, se trouve une croix faite de morceaux de charpente calcinés, avec ces mots : « Father, forgive », père, pardonne. La nuance est importante : non « pardonne-leur », comme dans les Evangiles, mais « pardonne », à nous comme à eux. Une sculpture de Josefina Vasconcelos célèbre la réconciliation. Une massive statue de Jacob Epstein, Ecce Homo, personnifie Jésus devant ses juges.

 La nouvelle Cathédrale communique avec l’ancienne par son portail nord. Elle a été construite dans les années cinquante et est considérée par les Britanniques comme leur édifice du vingtième siècle de prédilection. Elle contient de nombreuses œuvres d’art, en particulier la statue de Saint Michel terrassant le Diable par Jacob Epstein, la gigantesque tapisserie du Christ en Gloire de Graham Sutherland, tissée  en France à Felletin dans la Creuse, et la verrière du baptistère par John Piper.

 Le baptistère est taillé dans un bloc de pierre extraite d’une carrière proche de Bethléem. La Palestine est aussi présente dans la Chapelle de l’Unité, où sont exposées des photographies d’enfants palestiniens.

 Visiter Coventry est profondément émouvant et, finalement, source d’optimisme.

 Photo « transhumances » : Ecce Homo par Jacob Epstein dans l’ancienne Cathédrale de Coventry.

Les 400 ans de la Bible du Roi James

L’Eglise Anglicane fête le quatre centième anniversaire de la Bible du Roi James 1er.

 La Bible du Roi James est probablement le plus grand succès d’édition de l’histoire. On estime que plus d’un milliard d’exemplaires ont été imprimés depuis sa publication en 1611.

 Etablir une traduction officielle de la Bible était un objectif politique du roi James 1er dans une église anglicane tiraillée par de multiples courants. Ce qui rend ce texte remarquable, c’est la somme de compétences que réunit sa préparation : pas moins de 47 universitaires, férus de langues anciennes et appartenant au courant Puritain comme à l’institution ecclésiastique. C’est aussi le fait que le cahier des charges des traducteurs comportait la facilité de lecture à haute voix dans les églises, qui fut dûment testée devant des auditoires de cobayes.

 Le texte fut écrit dans un anglais déjà un peu ancien pour l’époque. Mais il fut proclamé à haute voix pendant quatre siècles et a laissé une trace importante dans la formation de l’anglais tel qu’il se parle aujourd’hui.

 « Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? s’est demandé dans son sermon lors de la messe d’action de grâce l’Archevêque de Cantorbéry Rowan Williams. Ce n’est pas une qui me permet simplement de dire, lorsque je la prends, « maintenant je comprends ». Bien sûr, si je suis confronté à un texte d’ans un langage étrange, j’ai besoin d’être simplement capable de le lire ; mais une bonne traduction sera une invitation à lire de nouveau, et à explorer, et à réfléchir, et à imaginer avec le texte. Plutôt que de me laisser dire « maintenant je comprends », elle incite la réponse « maintenant le travail commence ».

 Photo The Guardian : la famille royale britannique à Westminster pour la messe d’action de grâce pour le quatre centième anniversaire de la Bible du Roi James.

Affectueusement trompée

Angelica Garnett est maintenant une dame de 93 ans qui vit à Forcalquier environnée de livres et de tableaux. Son livre, « Deceived with Kindness » (Random House, 1984, traduit en France chez Christian Bourgeois sous le titre « trompeuse gentillesse »), raconte son enfance dans le groupe de Bloomsbury et son difficile chemin vers la maturité.

 Angelica naquit le jour de Noël 1918 de Vanessa Bell, l’un des membres du Groupe de Bloomsbury et l’épouse de Clive Bell. Ce n’est qu’à l’âge de 17 ans que sa mère lui apprit qu’elle était fille de Duncan Grant et non de son mari.

 Dans son livre, Angelica s’attaque à la tâche de comprendre comment cette tromperie initiale a pollué son enfance et sa vie de jeune adulte. « Vanessa n’avait peut-être pas compris qu’une fille désire être possédée par son père, et cela Clive n’était pas en situation de le faire », écrit-elle. D’un côté, Angelica eut une enfance privilégiée, au contact intime de personnalités exceptionnelles comme Virginia Woolf, sa tante, ou Maynard Keynes, un ancien amant de Duncan. Elle fut encouragée à peindre et à jouer de la musique. Elle eut la chance de voyager, en particulier en France. Mais ce fut aussi une enfance « gâtée », au sens fort du terme. A l’école, la relation particulière de sa mère avec la directrice l’exemptait de passer des examens. Il n’y avait pas vraiment à son égard d’exigence, d’étapes à franchir.

 Angelica décrit Duncan comme un homme délicieux et tout en finesse, mais totalement incapable d’assumer un conflit ; Vanessa elle-même semblait un roc de l’extérieur, mais souffrait d’une croissante minimisation de soi-même. Au seuil de ses vingt ans, Angelica n’avait pas pu se construire elle-même. Elle finit par céder aux pressantes demandes en mariage de David « Bunny » Garnett, alors âgé de 48 ans. Nul ne lui avait dit que, de 1916 à 1918, Bunny avait vécu en couple avec son père Duncan, alors qu’ils étaient objecteurs de conscience à Charleston. Vanessa ne lui avait pas révélé qu’elle-même avait refusé une demande en mariage de Bunny.

 La maternité (quatre filles dont deux jumelles) remplit la vie d’Angelica malgré la catastrophe de son mariage avec Bunny. Ses relations avec sa mère restèrent difficiles jusqu’à la mort de Vanessa en 1961 : le non-dit était trop lourd et installait entre les deux femmes gêne et silence.

 Angelica mit plusieurs années à écrire « Deceived with Kindness ». Mais cet exercice de lucidité lui permit de surmonter les souffrances accumulées. A quatre-vingt dix ans passés, épanouie dans la peinture et l’écriture, elle se disait plus jeune et heureuse que lors de ses vingt ans.

 Son livre est d’une grande profondeur psychologique. Il contient aussi des portraits affutés de personnalités  du groupe de Bloomsbury qui ont marqué durablement la culture en Grande Bretagne et dans le monde.

 Photo The Guardian : Angelica Garnett

La clé de Sarah, le film

Le film « Sarah’s key », la Clé de Sarah, réalisé par Gilles Paquet-Brenner en 2009, est sorti cet été sur les écrans britanniques.

 En français, le nom du film est « elle s’appelait Sarah ». Il suit de près le roman de Tatiana de Rosnay, dont « transhumances » avait rendu compte le 19 septembre 2009. Il donne un visage lumineux, celui de Kristin Scott Thomas, à Julia, cette journaliste américaine enquêtant sur la rafle du Vel’ d’hiv qui, par son acharnement pour la vérité, va dévoiler des secrets profondément enfouis dans deux familles. Sa propre belle famille a prétendu oublier que, lorsqu’ils occupèrent en 1942 un appartement confisqué à une famille juive déportée, ils avaient trouvé  le cadavre en décomposition d’un petit garçon dans un placard. Le mari américain de Sarah, qui avait enfermé son petit frère dans le placard pour le protéger de la rafle, avait caché à sa propre famille que sa femme était juive et qu’elle s’était suicidée sous le poids de la culpabilité.

 Le film exprime bien la culpabilité écrasante des personnages, qui prétendent épargner leurs proches en gardant le silence mais empoisonnent ainsi leur vie sans s’en rendre compte. Dans le Vel d’Hiv, sous une chaleur étouffante, dans la puanteur et l’angoisse, le père de Sarah reproche à sa petite fille d’avoir condamné son petit frère à une mort atroce, et Sarah ne supporte pas que son père ait laissé filer l’occasion de faire libérer le petit garçon par une jeune femme qui avait tenté, et finalement réussi, une évasion impossible.

 Le roman était magnifique. Le film est au diapason.

 Photo : Kristin Scott Thomas dans « Sarah’s key ».