Ma lecture d’été fut le premier tome de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse (Fayard 2002). Il couvre la période de sa vie de sa naissance en 1802 à son départ pour l’exil en 1851 et compte 1.366 pages. Trois tomes sont prévus. Le second a été publié l’an dernier.
La trace laissée dans l’histoire par ce poète, dramaturge, romancier, homme politique, dessinateur, journaliste, essayiste, académicien est considérable. Il est impossible de résumer en quelques mots un ouvrage aussi riche et volumineux, qui suit parfois jour par jour l’itinéraire d’un homme qui a été poète, dramaturge, romancier et homme politique. Il suffit de dire que malgré l’importance et la précision de sa documentation, il se lit comme un roman.
Jean-Marc Hovasse accorde une importance primordiale à l’enfance de Victor, tiraillé entre des parents engageant leurs fortes personnalités dans une impitoyable guerre conjugale. La mère, Sophie Trébuchet, ne craint pas de traverser avec ses enfants l’Italie et l’Espagne en guerre pour faire valoir ses droits auprès de son époux, Léopold Hugo. Celui-ci, général de Jérôme Bonaparte, ne se rapprochera de ses enfants qu’une fois veuf et légitimement remarié avec son amante. Progressivement, Victor découvrira qu’il est peut-être le fils naturel de l’amant de Sophie, Lahorie. Son histoire de famille se complique encore avec le destin de son inséparable frère Eugène, qui glissera peu à peu dans la schizophrénie. La paternité et la fraternité deviendront des thèmes récurrents et douloureux dans l’œuvre de théâtre de Victor Hugo.
Ce qui frappe au premier abord, c’est la précocité de Victor Hugo. A seize ans, il remporte le prix de poésie des Jeux Floraux de Toulouse ; à 23 ans, il est chevalier de la Légion d’Honneur ; à trente ans, il avait déjà écrit cinq pièces de théâtre, quatre romans, dont Notre Dame de Paris, et d’innombrables poésies. Dès 1829, il prend position contre la peine de mort dans son roman « le dernier jour d’un condamné ».
Politiquement, Victor Hugo évoluera doucement d’un légitimisme qui fera de lui le poète officiel du couronnement de Charles X à Reims à la position de confident de Louis Philippe puis, face à Napoléon III, au rôle de défenseur de la République. Le moteur de cette évolution est son amour pour la liberté d’expression et son horreur de la censure. Dans une intervention à l’Assemblée Nationale en 1850, il expliquera ainsi son évolution : « Quoi ! On m’accuse d’être un transfuge ; mais, messieurs, alors je serais une étrange espèce de transfuge, et qu’il faudrait encourager, un transfuge qui passe du camp des vainqueurs dans le camp des vaincus. Mais non, je ne suis pas un transfuge, je suis un homme d’ordre qui voit devant lui la réaction, c’est-à-dire le désordre, et qui le combat ; je suis un homme de liberté, qui voit devant lui les hommes de servitude, et qui les combat. »
Son combat contre Napoléon III, incarnation de l’autocrate médiocre imposant à la Nation la servitude, est inexpiable : « Oui, je me dévoue au droit austère de m’attacher à cet homme comme le remords et comme le châtiment. Désormais je le tiens, je le suivrai pas à pas, et jusqu’au jour, prochain ou lointain, peu m’importe ! où il disparaitra à jamais, je ne l’abandonnerai pas. M. Bonaparte veut qu’on lui prête serment. Eh bien soit. Je lui jure fidélité. » (Page écrite en 1852 pour l’Histoire d’un crime).
La misère le scandalise. Ayant visité les courées de Lille, il écrit ce poème :
Caves de Lille ! On meurt sous vos plafonds de pierre !
J’ai vu, vu de mes yeux pleurant sous ma paupière,
Râler l’aïeul flétri,
La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,
Et l’enfant spectre au sein de la mère statue
Oh Dante Alighieri !
(Châtiments)
Il se sent, déjà, passionnément européen :
« Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. (…) Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers (…) ». (Congrès de la Paix, 21 août 1949)
Victor Hugo est un amant passionné et tenace. En juillet 1821, sous un soleil de plomb il se rend à pieds de Paris à Dreux pour obtenir la main d’Adèle. Lorsque, cinq enfants plus tard, son mariage avec elle s’installe dans la routine, que celle-ci, amante de Sainte Beuve, lui refuse son lit, il tombe passionnément amoureux de Juliette Drouet.
Je ne l’avais pas vue encor ; ce fut un soir,
A l’heure où dans le ciel les astres se font voir,
Qu’elle apparut soudain à tes yeux, fraîche et belle,
Dans un lieu radieux qui rayonnait moins qu’elle.
Ses cheveux pétillaient de mille diamants ;
Un orchestre tremblait à tous ses mouvements
Tandis qu’elle enivrait la foule haletante,
Blanche avec des yeux noirs, jeune, grande, éclatante.
Tout en elle était feu qui brille, ardeur qui rit.
(Les voix amoureuses)
En 1841, il a le coup de foudre pour Léonie Biard :
J’avais trente neuf ans quand je vis cette femme
De son regard plein d’ombre il sortit une flamme
Et je l’aimai
Victor Hugo est partagé entre sa femme légitime et deux maîtresses, à la fois totalement infidèle mais, d’une certaine manière aussi capable de les aimer toutes les trois et de construire avec elles une relation durable. Le couple qu’il constitue avec Juliette est étrange. Il éprouve le besoin de sacraliser des moments passés avec elle :
« Ma pauvre bien-aimée, souvenons-nous toute notre vie de la journée d’hier. N’oublions jamais cet effroyable orage du 24 septembre 1835 si plein de divines choses pour nous. La pluie tombait à torrents, les feuilles de l’arbre ne servaient qu’à la conduire plus froide sur nos têtes, le ciel était plein de tonnerres, tu étais nue entre mes bras, ton beau visage caché dans mes genoux ne se détournant que pour nome sourire, et ta chemise collée par l’eau sur tes belles épaules. Et pendant cette longue tempête d’une heure et demie, pas un mot qui n’ait été un mot d’amour. »
Pendant des années, il l’oblige à vivre comme une recluse. Son amour peu à peu se refroidit, mais il ne l’abandonne pas. Et c’est Juliette qui, après le coup d’Etat de 1851 et alors que sa tête est mise à prix, prend la situation en main et le sauve :
« Tu as été admirable, ma Juliette, dans ces sombres et rudes journées. Si j’avais eu besoin de courage, tu m’en aurais donné, mais j’avais besoin d’amour et, sois bénie, tu m’en apportais ! (…) Oh ! n’oublions jamais ces heures terribles et pourtant si douces où tu étais près de moi dans les intervalles de la lutte ! (…) Tu t’étonnais de mon calme et de ma sérénité. Sais-tu d’où ils me venaient, cette sérénité et ce calme ? C’était de toi ! » (lettre Victor à Juliette, 31 décembre 1851).
Certains vers de Victor Hugo, écrits dans la passion d’une vie bouleversante, sont d’une profondeur inouïe :
« Oh ! ce serait vraiment un mystère sublime
Que le ciel si profond, si lumineux, si beau,
Qui flamboie à nos yeux ouverts comme un abîme
Fût l’intérieur d’un tombeau ! »
(Les Contemplations)
Victor Hugo écrivit à partir de 1847 un « journal de ce que j’apprends chaque jour ». Sa curiosité était immense.