Copenhague

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 Il y a une quinzaine de jours, les blogueurs du Monde furent invités à écrire ce que leur inspirait de sommet de Copenhague. Je n’eus pas envie d’ajouter quelques décibels au bruit médiatique. Après le fiasco, après la déception et la frustration, vient le temps de la réflexion.

Dans le quotidien britannique The Guardian, George Monbiot a publié le 22 décembre un article intitulé : « qui est à blâmer pour l’échec de Copenhague ? Barack Obama. Et vous ». Selon lui, un succès de la conférence de Copenhague aurait signifié pour le président américain l’obligation de livrer au Congrès la bataille de sa vie, avec peu de chances de l’emporter face aux lobbies de tout genre. Assembler autour de lui une coalition hétéroclite de pays en exerçant sur eux des pressions dignes d’un George Bush, mettre la Chine en accusation et, geste impardonnable, lui faire perdre la face, lui permettait d’éviter cette bataille et de rejeter la responsabilité de l’échec sur l’étranger. George Monbiot montre du doigt un second responsable, les citoyens, nous-mêmes : « le nombre de ceux qui sont passés à l’action fut pathétique. Des manifestations qui auraient du amener des millions de personnes dans les rues ont lutté pour en mobiliser quelques milliers. »

Dans ce qui s’est écrit ces derniers jours, je voudrais retenir quelques idées.

La première est que le sommet de Copenhague n’a pas été seulement négatif. Plus personne ne doute maintenant de la réalité du changement climatique et du fait qu’il s’agit d’un défi majeur pour les gouvernements du monde entier. La plaisanterie d’Hugo Chavéz, « si le climat avait été une banque, on l’aurait déjà sauvé ! » a du vrai. Il reste que la question du réchauffement est maintenant installée solidement au coeur des relations internationales. A cet égard, le cafouillage de la conférence a aussi quelque chose de positif : il faudra tenir compte d’une multitude de réalités différentes si l’on veut construire un accord où chaque pays gagne quelque chose.

La seconde est que chaque année perdue dans la recherche d’un traité contraignant, après la décennie perdue de Bush, contient en germe d’immenses dangers. L’insuffisante réduction de la consommation d’énergie fossile comme la raréfaction des ressources en eau vont exaspérer les conflits géopolitiques. Le monde va devenir plus dangereux à mesure que les températures s’élèveront. Les prix de biens essentiels comme le pétrole ou les céréales peuvent exploser et provoquer des ajustements brutaux et des craquements dans nos systèmes sociaux et politiques.

Troisième idée : si les Etats ont leur rôle à jour dans la lutte contre le réchauffement climatique, beaucoup d’actions sont déjà à l’oeuvre plus près des citoyens, dans les municipalités ou dans les régions, ou au contraire dans les fédérations d’Etats comme la Communauté Européenne. Même du temps de Bush, le gouverneur républicain de Californie faisait adopter des normes anti-pollution rigoureuses. L’appel de Corinne Lepage à la société civile va dans le même sens.

Enfin, il faut réinventer les négociations internationales. On a incriminé la mauvaise gestion danoise de la conférence, mais il faut se rappeler qu’une autre grande négociation, le Cycle de Doha de l’Organisation Mondiale du Commerce, patine elle aussi depuis des années. Comme le dit le coordinateur de la conférence de Copenhague Yvo de Boer, cité par Monbiot : « si l’une après l’autre les échéances ne sont pas respectées, nous finirons par devenir une sorte de petit orchestre sur le Titanic ».

Que faut-il faire ? Il faudra probablement dessiner un accord avant les grandes conférences entre les principaux responsables des phénomènes auxquels on veut s’attaquer, que ce soit les émissions de carbone ou les restrictions au commerce. Faute d’un schéma commun  mis au point à l’avance entre les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Japon et la Chine, un accord entre 192 pays était hautement improbable. Il faudra aussi s’inspirer de ce qui a fait le succès de l’Union Européenne : une grande idée fondatrice, autrefois le désir d’éviter une troisième guerre mondiale sur le continent, maintenant celui de prévenir un désastre écologique ; mais surtout de sordides négociations de marchands de tapis qui n’ont rien de reluisant mais sont seules capables de garantir que chacun sort gagnant d’une manière ou d’une autre d’un compromis.

Les négociateurs de Copenhague avaient bien en tête la grande idée. Il faut maintenant retrouver, à l’échelle mondiale et sur le sujet du réchauffement planétaire, la délicieuse atmosphère glauque des négociations de Bruxelles, horloge arrêtée !

(Photo : The Guardian)

Paradoxe de la consommation en Grande Bretagne

 La consommation en Grande Bretagne aurait progressé de plus de 4% en un an. Dans le même temps, le produit intérieur brut a diminué de près de 5%. Comment expliquer ce paradoxe ?

Selon le British Retail Consortium, les ventes du secteur de la distribution auraient augmenté de 4,1% de novembre 2008 à novembre 2009. Dans un contexte de forte récession (le PIB a décru de 4.7% en un an), les hypermarchés accroissent fortement leurs ventes, le luxe fait une année exceptionnellement bonne, le textile progresse, et seuls les secteurs liés à la maison (ameublement, bricolage) régressent.

Plusieurs facteurs expliquent ce paradoxe. Le premier est la baisse historique des taux d’intérêt. La plupart des prêts hypothécaires en Grande Bretagne sont à taux variables. Les conséquences sur le pouvoir d’achat des ménages sont si sensibles que le Gouvernement gère deux indices de prix, le RPI (Retail Prices Index) et le CPI (Consumer Prices Index), le second tenant compte du coût des prêts. L’économie pour les foyers britanniques serait de l’ordre de 120 livres par foyer et par mois, somme disponible pour épargner mais aussi pour consommer.

La baisse de la livre sterling attire des consommateurs européens et stimule les ventes, principalement à Londres. Elle décourage aussi les Britanniques de voyager à l’étranger, ce qui libère du pouvoir d’achat pour la consommation domestique.

Enfin, la baisse de la TVA, qui prendra fin dans quelques jours, a certainement stimulé la consommation, particulièrement ces dernières semaines.

Les perspectives pour 2010 sont toutefois incertaines. En cas de remontée des taux d’intérêt, le budget des ménages va de nouveau se tendre. La TVA va revenir à son niveau antérieur. Le chômage ne cesse de s’accroître et pousse les ménages à la prudence et à l’épargne. La hausse des ventes de détail dans un contexte de récession n’aura peut-être été qu’un feu de paille.

Noël virtuel

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 18 décembre un article de Victor Keegan intitulé « an unreal Christmas », un Noël irréel.

« Flirtomatic, une société basée à Londres, affirme avoir vendu 10.000 cadeaux ces quatre dernières semaines dans la course à Noël. Cela n’aurait pas d’intérêt en soi, mais Flirtomatic est un réseau de socialisation sur téléphones portables et les produits qu’elle vend sont tous « virtuels ». Ils vont des roses – qui n’existent que sous la forme de pixels sur un écran – à un bon gros bisou mouillé. La meilleure vente est un bas de Noël rempli de bonbons pour lesquels jusqu’à 2.000 utilisateurs par jour sont prêts à payer l’équivalent de 75 pence (près d’un euro). Sur d’autres sites, des gens sont prêts à payer 20 livres (23 euros) pour une rose virtuelle. Oui, la même génération qui ne paie pas pour décharger des musiques du web paie en monnaie véritable des biens irréels.

Si tout cela semble dingue, attention car il se peut que nous devions réviser nos préjugés. Flirtomatic.com, qui vend aussi des cubes de glace qui fondent lorsqu’ils atteignent le téléphone portable du receveur, n’est que menu fretin dans un changement potentiellement révolutionnaire qui se déroule en-dessous du radar des politiciens et de la plupart des adultes. Alors que le commerce international des biens réels a été en profonde récession, le commerce de biens virtuels est dans un boom ininterrompu qui ne donne aucun signe de fléchissement.

Le trait essentiel est que, au contraire des biens physiques, produire d’autres exemplaires ne coûte absolument rien, de sorte qu’il y a une offre illimitée pour satisfaire une demande illimitée, un nirvana pour les économistes. La production virtuelle pourrait aussi recréer un terrain de jeu équilibré pour les entreprises occidentales, car elles ne sont pas obligées de sous-traiter la production à des pays asiatiques avec des coûts de production plus faibles. »  (www.guardian.co.uk/commentsfree/2009/dec/17/unreal-christmas-virtual-goods)

La fête de Noël a pris au fil du temps une connotation commerciale : c’est la période de l’année pendant laquelle de nombreux secteurs de l’économie, des producteurs de jouets aux ostréiculteurs, réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires. L’autre face du phénomène est l’échange non marchand, le don : Noël est le moment de l’année où l’on a plaisir à offrir et à recevoir. Cette évolution a massivement fait évoluer Noël du monde religieux à la réalité économique.

L’article de Victor Keegan nous fait toucher du doigt que nous allons maintenant dans l’autre sens, une dématérialisation de la fête. Sur des sites comme Flirtomatic, ce sont des biens virtuels qui s’échangent. C’est la pure sensation de bien-être de l’échange de cadeaux qui importe, sans sa réalité matérielle. En un sens, Noël revient dans la sphère des images et du désir, c’est-à-dire dans un monde religieux, mais hors du contrôle des religions.

Rio das Flores

 

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Je propose aujourd’hui une saga familiale au Portugal et au Brésil de 1915 à 1945 : Rio das Flores, de Miguel Sousa Tavares (Oficina do livro, 2007).

Comme son premier roman, « Equador », Miguel Sousa Tavares situe « Rio das Flores » dans le contexte politique du Portugal de la première moitié du vingtième siècle. Le livre raconte le destin d’une famille de grands propriétaires agricoles d’Estremoz, en Alentejo, de 1915 à 1945. La grande Histoire n’est pas seulement évoquée comme contexte, elle se confond avec celle des personnages du récit. La montée du Salazarisme va séparer les deux frères Ribera das Flores, Diogo et Pedro, le premier émigrant au Brésil pour échapper à l’atmosphère étouffante de son pays, le second s’engageant dans la guerre civile aux côtés des Nationalistes espagnols. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale rendra irréversible la fracture au sein de la famille, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique.

La relation de Diogo et Pedro est faite d’affection, de respect et de loyauté. Ils sont pourtant le parfait contraire l’un de l’autre. Diogo, ingénieur agronome, est un intellectuel épris de grands espaces et de liberté ; Pedro, qui n’a pas fait d’études, a une relation quasi physique avec le domaine familial de Valmonte et se sent en affinité avec la dictature de l’Etat Nouveau. L’un et l’autre revendiquent l’héritage spirituel de leur père, profondément conservateur mais aimant recevoir à sa table des convives d’opinions différentes.

Diogo s’éprend d’Amparo, fille d’un ancien métayer du domaine, dont la beauté fulgurante tient en partie à une lointaine ascendance gitane. Maria da Glória, mère de Diogo et de Pedro parvient à convaincre ce dernier de ne pas s’opposer à ce qu’il considère comme une mésalliance : le désir de terre que porte Amparo vient de plusieurs générations et elle saura aimer Valmonte. De fait, Amparo se met à l’école de Maria da Glória et se fait peu à peu accepter. Elle donne à Diogo deux enfants.

Pedro s’éprend, de manière inattendue, d’une jeune peintre, Angelina, qui initie cet homme de la terre à une dimension artistique de la vie qu’il ne soupçonnait même pas. Mais Angelina s’enfuit d’Estremoz pour tenter de réaliser sa vocation à Paris. Pedro sort de cette expérience meurtri, muré dans sa solitude.

Oppressé par l’air raréfié qui se respire au Portugal, Diogo se passionne pour le Brésil, un pays neuf où se respire la joie de vivre, malgré l’avènement, comme dans tant d’autres pays, d’une dictature de type fasciste. Enthousiaste, il embarque à bord du vol inaugural du dirigeable Hindenburg, un paquebot volant qui fait le voyage de Fiedrichshafen à Rio de Janeiro sans escale. Un fossé se creuse peu à peu avec Amparo. Si Angelina avait quitté Pedro pour rester une femme libre, Amparo reste étrangère à la passion de Diogo pour le Brésil, qui est sa voie vers la liberté. Lorsque Diogo franchit le pas d’acheter un domaine agricole au Brésil, Amparo décide de rester à Valmonte, où Pedro, revenu blessé de la guerre d’Espagne, a pris la responsabilité de l’exploitation.

Les personnages sont beaux, physiquement et moralement. Ils ne mentent ni aux autres, ni à eux-mêmes. Malgré les chagrins et les souffrances, ils restent fidèles à ce qu’ils sont et à ceux qu’ils aiment. Ils ne se laissent pas aveugler par la haine. Abandonnée par Diogo, qui a refait sa vie avec Benedita, une jeune mulâtresse brésilienne, Amparo essaie de le comprendre, de découvrir ce qu’elle n’a pas su lui donner. Parce que son frère le lui demande, Pedro consent à faire jouer ses amitiés dans le Régime pour sauver Rafael, qui avait offert à Diogo son baptême de l’air et que la police politique a détenu et torturé. Parce qu’ils ne cèdent pas à la facilité, parce qu’ils ne dévient pas de leur chemin, Diogo, Amparo et Pedro trouveront la paix intérieure et le bonheur.

Ce récit qui met aux prises des hommes et des femmes emportés dans le torrent de l’histoire et tentant d’y inventer leur propre destin est bouleversant. Il contient aussi un mine d’informations sur l’une des dictatures les plus longues du monde, née dix ans avant le franquisme et disparue avec la révolution des œillets, un an avant celui-ci.