Justin Welby, l’archevêque atypique

Justin Welby. Photo The Guardian.

Justin Welby, 56 ans, vient d’être désigné comme archevêque de Cantorbéry et chef de l’Eglise Anglicane. Son parcours est atypique.

 Justin Welby est actuellement évêque de Durham, l’un des évêchés les plus anciens d’Angleterre. En cela sa promotion peut sembler normale. Ce qui l’est moins, c’est qu’il occupe ce poste depuis un an seulement, après avoir été curé doyen de Liverpool. Ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que cet homme, qui a eu six enfants, a mené une carrière brillante de cadre supérieur dans l’industrie avant de changer de voie. Comme le premier ministre Cameron ou le maire de Londres Johnson, il suivit ses études secondaires dans la prestigieuse « public school » d’Eton. Il fit son parcours universitaire à Cambridge. Il fut trader et financier au sein des compagnies pétrolières Elf Aquitaine et Entreprise Oil et décida un jour d’abandonner son salaire mirobolant et de se faire prêtre.

 Dans The Guardian, Andrew Brown et Lizzy Davies écrivent : « peu de vieux Etoniens pensent que les plus gros problèmes auxquels le Comté de Durham est confronté sont les prêteurs requins et les drames qu’ils provoquent, ainsi que le haut chômage des jeunes ». Il n’y a pas beaucoup de cadres supérieurs d’entreprises pétrolières qui diraient que « la rémunération des principaux dirigeants d’une bonne centaine d’entreprises au Royaume uni est outrageante et même obscène… Nous devons arriver au point où il y ait une reconnaissance générale du fait qu’être payé un grand nombre de fois plus que la rémunération d’autres personnes n’est pas acceptable dans une société qui souhaite être heureuse et stable. » C’est pourtant ce qu’a dit Welby dans une interview avec un autre évêque dans Living Church, un magazine américain, au début de cette année. Membre de la commission parlementaire sur les scandales bancaires, en particulier la manipulation du Libor, il a l’occasion d’y exprimer ses positions.

 Justin Welby a un esprit vif et acéré. Affable, attentif aux autres, pratiquant à merveille l’autodérision qui rend les Anglais si attachants, on ne lui connait pas d’ennemis. Partisan de l’ordination de femmes évêques mais hostile au mariage homosexuel, membre du courant évangélique de l’Eglise Anglicane, ses positions sont celles qu’on peut attendre aujourd’hui du chef de cette Eglise.

 Ajoutons qu’il a travaillé en France pour Elf Aquitaine dans les années 1980 et que c’est un francophile passionné.

L’Eglise Anglicane à la croisée des chemins

Jane Freeman, curé de Wickford. Photo The Guardian.

La désignation du successeur de Rowan Williams au poste d’archevêque de Cantorbéry, et donc à la tête de la Communion Anglicane, sera annoncée aujourd’hui dans une conférence de presse. Justin Welby devra faire face à une situation semblable à celle de l’Eglise Catholique en Grande Bretagne et plus généralement en occident : la désaffection des fidèles combinée à la raréfaction du clergé.

 Plusieurs facteurs devraient rendre la situation sociologique de l’Eglise Anglicane moins critique que celle de l’Eglise Catholique. Le rôle de prêtre y a les attributs d’un véritable métier, rémunéré par l’Etat, accessible à tous les croyants, hommes et femmes, permettant à ceux qui l’exercent de fonder une famille. Pourtant, comme l’écrit Andrew Brown dans The Guardian le 31 octobre, une réforme en profondeur est devenue indispensable.

 « Si la Chrétienté meurt en Angleterre, elle mourra d’abord à la campagne. Cela peut sembler paradoxal. Quand on pense à la Chrétienté anglaise, on pense aux églises médiévales qui se dressent au cœur de villages tranquilles. On peut penser que les parties les plus traditionnelles du pays vont s’accrocher aux voies traditionnelles telles que la Chrétienté. Mais les traditions sont largement mortes ; et les églises avec elles. »

 Brown cite le cas de la paroisse de Wickford, dans le comté de l’Essex, au nord-est de Londres. Ce fut un village ; c’est aujourd’hui une succession de maisons en bordure d’une nationale. Son église date des années 1960. « Elle pourrait contenir dix fois plus de fidèles que les 31 rassemblés aujourd’hui. Cinq peut-être avaient moins de 50 ans ; et huit étaient de sexe masculin ». Le curé, Jane Freeman, constate que la religion a été rendue inutile par le succès matériel et que les gens ont perdu l’habitude de la foi.

 Wickford est dans une situation intermédiaire entre la grande ville et le désert rural. « Dans les villes, dit Brown, la religion fleurit parce qu’elle offre  les bénéfices de la communauté. Dans les faubourgs, toutes sortes d’églises peuvent trouver une niche : dans la ville où je vis dans le nord de l’Essex, il y a des églises pour les Baptistes, les Quakers, les Catholiques Romains, les Méthodistes et une assemblée pentecôtiste dans la zone industrielle, ainsi que les Anglicans dont l’église pourrait contenir 1.000 personnes et en reçoit encore 170 un dimanche normal. »

 Dans les communes rurales, seule subsiste l’Eglise Anglicane, elle-même aux prises avec des difficultés considérables : moins de fidèles, des fidèles plus âgés, moins de prêtres, des charges financières considérables pour l’entretien des lieux de culte et le paiement des retraites du clergé. Malgré la résistance des habitants, qui voudraient conserver leur curé à demeure, l’avenir est peut-être dans la constitution d’équipes de prêtres nombreuses desservant un vaste territoire incluant des zones rurales mais aussi des villes.

 Le principal défi de l’Eglise Anglicane est la foi. « Ce qui maintient l’Eglise d’Angleterre en fonctionnement, conclut Andrew Brown, ce ne sont ni ses leaders, ni ses structures. C’est la foi du clergé en Dieu. Williams, malgré toutes ses erreurs, était aimé partout dans l’Eglise parce qu’il semblait partager et même illustrer cette foi. Le prochain archevêque devra y parvenir s’il veut inspirer ses troupes. Avoir les bons slogans ne suffira pas. »

Confession d’un Cardinal

Le livre « Confession d’un Cardinal » d’Olivier Le Gendre (JC Lattès 2007) est présenté par l’éditeur comme celui dont toute l’Eglise parle.

 Peu après le Conclave qui élit Ratzinger comme pape sous le nom de Benoît XVI, un Cardinal demande à l’écrivain catholique Olivier Le Gendre de l’aider à écrire ses mémoires. Octogénaire, il sait son temps de vie limité ; retraité de la Curie, il s’inquiète et se désole du réflexe de peur qui a conduit à la récente élection et entend proposer une perspective positive à l’Eglise Catholique.

 Le livre est construit autour de trois lieux. Au Vatican et dans le quartier du Trastevere, le Cardinal évoque le récent Conclave et explique comment les Cardinaux, pris de vertige par la disparition d’un pape de l’envergure de Jean-Paul II , se sont ralliés à celui qui avait été son plus proche collaborateur. Il regrette qu’ait été élu un théologien plutôt qu’un homme de terrain, un européen plutôt qu’un évêque du monde émergent, un homme âgé plutôt que dans la force de l’âge.

 L’horreur du génocide rwandais

 La seconde série d’entretiens se déroule dans la maison de famille de Le Gendre près d’Avignon. La Cité des Papes se prête bien à l’exercice auquel se livre le Cardinal : une analyse sans complaisance de l’histoire de l’Eglise. Le jugement se fait de plus en plus critique à mesure que l’on se rapproche du temps présent. Le Cardinal s’afflige du divorce croissant entre l’Eglise et ce qu’il nomme le monde, et encore plus d’une tendance dans l’Eglise à considérer que dans cette séparation, les torts sont du côté du monde, sujet «à la dictature du relativisme ». S’il évoque, naturellement, le scandale des prêtres pédophiles, les plus belles et plus terribles pages de son réquisitoire sont consacrées au Rwanda. Ce pays « constituait, pensions-nous, un exemple de la réussite de l’évangélisation en Afrique. Des fidèles actifs, des religieuses du pays en grand nombre, un clergé local formé, de nombreuses institutions charitables, des écoles… Un modèle de greffe réussie de la foi chrétienne dans un pays récemment évangélisé. Survint le génocide. » « Six millions de juifs sont morts durant la période noire de la seconde guerre mondiale, en l’espace de plusieurs années, donc, avec des moyens techniques très élaborés. Un million de Rwandais ont été massacrés en moins de cent jours, ce qui suppose, quand vous prenez conscience de ce qui se cache derrière les chiffres, une action collective de tout un peuple contre une ethnie voisine. Cent jours où, tous les matins, des hommes des campagnes et des villes se levaient pour aller chasser leurs anciens voisins tutsis comme ils se levaient quelques jours encore auparavant pour aller cultiver leur terre. Cent jours pour massacrer dans des conditions atroces un million de personnes, entre voisins. Il n’y a pas d’autres événements comparables dans l’Histoire de l’humanité, parce que justement il n’y avait plus d’humanité dans les collines durant ces cent jours ».La sœur du Cardinal était religieuse au Rwanda pendant les massacres. Les témoignages recueillis sont bouleversants. Ils semblent sanctionner l’incapacité du Christianisme à générer, là où il exerce une réelle influence, une société fraternelle fondée sur les principes évangéliques.

 Humaniser la mondialisation marchande

 La troisième scène du livre est un pays du sud-est asiatique dans lequel l’influence de l’Eglise Catholique est négligeable. Elle gère toutefois des institutions qui accueillent des victimes des changements brutaux qui traversent la société : enfants prostitués, sidéens, handicapés, tous rejetés par leurs familles. C’est là que le Cardinal a choisi de vivre le reste de sa vie. Il plaide pour une foi qui se révèle dans la brise légère de la compassion plus que dans les proclamations tonitruantes. Ici aussi, le livre nous offre des témoignages de première main, beaux dans leur simplicité. Le Cardinal élabore à partir d’eux une proposition pour l’Eglise. Elle doit témoigner de la tendresse de Dieu dans un monde bouleversé par un phénomène irréversible, la mondialisation, qui crée de la richesse, multiplie les opportunités, suscite la rencontre des peuples et des cultures ; mais phénomène aussi qui relègue un nombre croissant de personnes sur les marges et broie les plus faibles. « Notre Eglise est la seule puissance spirituelle centralisée mondiale. Plutôt que de se tourner vers la restauration de son passé soi-disant glorieux, elle est appelée à jouer un rôle prépondérant pour tenter de proposer avec d’autres une alternative à la mondialisation marchande. Cette alternative consiste à humaniser une mondialisation qui déshumanise à tour de bras. »

 La Confession d’un Cardinal stimule la réflexion mais génère aussi des frustrations. La plus apparente se résume en une question : pourquoi le Cardinal avance-t-il masqué ? Il y a dans le livre des faits et des dates qui semblent écarter l’idée que le livre de Le Gendre soit une pure fiction, mais un doute subsiste. Et si le Cardinal existe, si sa Confession est authentique, si c’est un prélat reconnu par ses pairs, pourquoi ne se nomme-t-il pas ?

 Une seconde frustration dérive de la première. Hormis une longue histoire partagée, celle de dizaine d’années à la Curie et celle de siècles de papauté, le Cardinal a-t-il encore les mêmes valeurs que les Cardinaux qui, à la suite de Pie IX, Pie XII et Jean-Paul II se battent pied à pied contre le monde moderne et pour sauvegarder ce qui peut l’être de la chrétienté ?

 Plus profondément, c’est le noyau de la foi chrétienne qui est en cause. Il est incontestable que l’image d’un Dieu silencieusement présent aux côtés de l’humanité souffrante fait partie du patrimoine spirituel chrétien. Mais le noyau dur du christianisme est l’incarnation de Dieu, une fois pour toutes, dans un homme déterminé à un moment précis de l’histoire. Comment le Cardinal rend-il compte de cela ? S’agit-il d’un récit de nature épique ou poétique, ou bien d’une Vérité révélée ? Dans le deuxième cas, comment éviter que l’Eglise s’arroge la position de supériorité de celui qui dispose de la totalité des moyens du salut ? Peut-elle se placer humblement au même rang que d’autres dans l’immense tâche d’humanisation de la mondialisation marchande ?

 Olivier Le Gendre a publié un second livre : « l’Espérance du Cardinal ». Peut-être propose-t-il une réponse à ces interrogations ?

Hans Küng

Hans Küng, photo The Guardain

Le compositeur britannique britannique Jonathan Harvey vient de donner au Royal Festival Hall la première de sa symphonie « Weltethos », inspirée de l’œuvre du théologien Hans Küng.

 Hans Küng, 84 ans, est une figure marquante du Christianisme. Il y a une trentaine d’années, j’avais été passionné par sa christologie, imprégnée par la pensée de Hegel (Incarnation de Dieu, 1970, traduction française DDB 1973). Sa fondation Siftung Weltehos (fondation pour une éthique globale) milite en faveur d’un dialogue approfondi entre les religions, les religions monothéistes mais aussi le Confucianisme, le Bouddhisme et l’Hindouisme.

 Dans une interview donnée à Kate Connolly, du Guardian, il indique que la seule voie de réforme de l’Eglise Catholique est à partir de la base. Il appelle les chrétiens, y compris les prêtres, à se soulever et à cesser d’être serviles.

 Sa relation avec l’actuel pape, Ratzinger, est compliquée. Ils étaient ensemble étudiants à Tübingen. L’austère Ratzinger roulait à bicyclette, le flamboyant Küng en Alfa Romeo Giulietta. Après le soulèvement de 1968, l’un évolua vers des positions de plus en plus conservatrices. L’autre devint le porte-parole d’un prophétisme chrétien dont on peut craindre qu’il devienne de plus en plus inaudible… sauf s’il se vêt des atours d’une symphonie !