Mary Robinson, « une terrible urgence »

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Le quotidien « The Guardian » a publié le 13 mars une interview de Mary Robinson, présidente de la République d’Irlande dans les années quatre vingt dix, par la journaliste Aida Edemariam.

Agée de soixante cinq ans, Mary Robinson revient vivre dans son pays après treize années passées à New York. Elle y avait occupé le poste de présidente de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, avant de devoir démissionner sous la pression de l’Administration Bush qui la considérait trop tiède sur la « guerre contre le terrorisme » et pro palestinienne.

Membre des Anciens, un groupe de 12 éminents leaders réuni par Nelson Mandela et présidé par Desmond Tutu, elle entend se consacrer maintenant à la « justice climatique », en particulier pour que les peuples les plus affectés par le réchauffement climatique (généralement ceux qui contribuent le moins au phénomène) reçoivent une juste compensation. Elle pense que, face à des gouvernements paralysés, c’est à la société civile qu’il faut en appeler. Elle est particulièrement préoccupée par la fragilité de la plus grande démocratie du monde, les Etats-Unis : « Obama essaie d’offrir un leadership, mais je pense que le système politique américain est en train de devenir dysfonctionnel, et cela est vraiment, vraiment préoccupant. »

Sur le thème de la justice climatique, Mary Robinson ressent un terrible sens de l’urgence.

(Photo The Guardian : Mary Robinson avec Desmond Tutu)

Disconnect

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Le Royal Court Theatre de Londres donne jusqu’au 20 mars « Disconnect », une pièce de Anupama Chandrasekhar, jeune dramaturge basée à Chennai en Inde. Elle met en scène une équipe d’opérateurs d’un call centre de Chennai affectés au recouvrement de créances privées dans l’Illinois.

Le premier personnage à entrer en scène est une manager, Jyothi. « OK, je suis Jyothi, en vérité. Les gens m’appellent Sharon (rires). J’étais Jennifer pour les appels entrants et Michelle pour les appels sortants. Mais j’ai toujours voulu être Kate, comme Winslet. Ou Hudson. » Dès le début, le ton est donné. Les personnages sont indiens, mais leurs interlocuteurs au bout du fil sont des débiteurs américains et à force de se faire passer pour leurs voisins et de contrefaire leur accent, ils finissent par laisser pénétrer le rêve américain au tréfonds de leur âme.

Jyothi reçoit dans son bureau un superviseur d’environ 45 ans, Avinash. Elle lui explique que selon tous les critères d’évaluation, A- aptitude, B- attitude, C- performance, D- engagement, il tombe dans la catégorie des employés à basse performance. Puisqu’il ne réussit pas à New York, il est muté à une région moins stressante : l’Illinois. Où est l’Illinois ? demande Avinash. Au quatrième étage, répond Jyothi Sharon.

La nouvelle équipe d’Avinash est composée de trois jeunes Indiens : Vidya, alias Vicki Lewis ; Giri, alias Gary Evans ; Rohan, alias Ross Adams. Ils travaillent de nuit, quand il fait jour à Chicago, et, contrefaisant l’accent américain, prétendent qu’ils appellent de Buffalo. Leur salaire est fonction d’objectifs de sommes recouvrées presque inatteignables. Ils doivent suivre à la lettre un script détaillé. Mais ils doivent aussi s’adapter aux situations et aux personnalités qu’ils rencontrent au bout du fil : les débiteurs ont divorcé, ont perdu leur emploi, ou ont tout simplement perdu la tête, cédant pour un moment à une frénésie de consommation dont ils n’ont pas les moyens. Tous les moyens sont bons, cajolerie, flatterie, menace : « vous avez fait une promesse. C’est le moment de la tenir. Voulez-vous que vos fils sachent que vous êtes un menteur et un tricheur ? Parce que si vous ne payez pas, c’est ce que vous êtes. Arrêtez de pleurer. Soyez quelqu’un dont vos fils seront fiers », dit Vidya à un débiteur, Harry Coltrane. Coltrane se suicidera une heure plus tard, plongeant Vidya dans une crise personnelle et professionnelle.

Giri s’est lui aussi endetté, à l’image des débiteurs qu’il poursuit. Sa vie dépend de son bonus. Ross finance par son travail les études de son frère à l’étranger et rêve d’émigrer. Il fantasme sur une débitrice de Chicago, Sara, imaginant qu’il entre avec elle dans une relation extra-professionnelle qui lui permettra de fuir Chennai. Usurpant l’identifiant du superviseur, il annule sa dette. Mais Sara, loin de lui en savoir gré, poursuit la compagnie en justice pour harcèlement. Insensible à la catastrophe, Ross, licencié de l’entreprise et menacé de poursuites pénales, contemple dans la nuit la décharge voisine du call centre et y voit Chicago, ses buildings et ses lumières.

Peu de livres ou de scénarios évoquent la vie professionnelle d’aujourd’hui. « Disconnect » d’Anupama Chandrasekhar est une exception. Magnifiquement jouée, intelligemment mise en scène malgré un espace exigu, sa pièce nous offre un bon moment de théâtre.

(Photo The Times : Nikesh Patel dans le rôle de Ross et Ayesha Dharker dans celui de Vidya)

Belles filles albanaises

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Au cours d’une conférence de presse avec le Président albanais Sali Berisha le 11 février, le Président du Conseil Italien Silvio Berlusconi a demandé à l’Albanie plus de contrôle sur les passeurs clandestins, et a ajouté : « pour ceux qui amènent de belles filles, nous ferons une exception ». L’écrivaine albanaise Elvira Dones lui a écrit une lettre ouverte. Nous la publions ce 8 mars, jour des droits de la femme.

Moi, écrit Elvira, ces « belles filles » je les ai rencontrées, j’en ai rencontré des dizaines, de nuit et de jour, en cachette de leurs proxénètes, je les ais suivies de Garbagnate Milanese jusqu’en Sicile. Elles m’ont raconté des lambeaux de leurs vies violées, brisées, dévastées. A « Stella », ses patrons avaient tatoué sur son estomac un mot : pute. C’était une belle fille avec un défaut : enlevée en Albanie et transportée en Italie, elle refusait d’aller sur le trottoir. Après un mois de viols collectifs par des proxénètes albanais et leurs associés italiens, elle dut s’incliner. Elle connut les trottoirs du Piémont, du Latium, de la Ligurie et bien d’autres. Et seulement alors, trois ans plus tard, ils lui tatouèrent sa profession sur le ventre, comme çà, par jeu ou par caprice.

Autrefois, elle était une belle fille, oh oui ! Aujourd’hui c’est un déchet de la société, elle ne deviendra jamais plus amoureuse, elle ne deviendra jamais maman ou grand-mère. Cette pute sur le ventre lui a retiré toute lueur d’espoir et de confiance en l’homme, le massacre par les clients et les protecteurs lui a détruit l’utérus.

Elvira termine ainsi sa lettre ouverte à Berlusconi : « L’Albanie n’a plus de patience ni de compréhension pour les humiliations gratuites. Je crois que vous devriez arrêter de considérer les drames humains comme du matériau pour des plaisanteries de bar à heure tardive et que vous n’auriez qu’à y gagner. »

Les humiliations mentionnées par Elvira dépassent le cadre de la plaisanterie déplacée. Le Président du Conseil italien, dans la même conférence de presse, envisageait de faire de l’Albanie un producteur régional d’énergie. Il s’agirait en réalité de construire dans ce pays les centrales nucléaires dont les Italiens ne veulent pas sur leur sol. L’Albanie se prépare à recevoir les déchets de sa grande voisine.

Elvira Dones, née en Albanie en 1960, exerce aux Etats-Unis le métier d’écrivaine et de metteuse en scène. Sa lettre m’a été communiquée par le groupe « Uomini in Cammino » de Pinerolo, Piémont.  Photo de la conférence de presse commune de Berlusconi et Berisha à Rome, La Repubblica, http://www.repubblica.it/cronaca/2010/02/12/news/berlusconi_sbarchi-2272819/

« Religion » du changement climatique

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La croyance dans le changement climatique est-il une religion ? Le débat fait rage en Grande Bretagne, alors qu’une commission d’enquête parlementaire examine les allégations de truquage de statistiques.

En novembre dernier, Tim Nicholson, cadre licencié par une grande société immobilière, gagna un procès contre son ex-employeur. Le juge admit que son licenciement était lié à ses profondes convictions environnementales et que celles-ci donnaient droit à la même protection qu’une foi religieuse. Pour preuve du mépris de son employeur pour l’environnement, Nicholson avait raconté l’anecdote de son patron qui, ayant oublié son BlackBerry à Londres, avait ordonné à un employé de le lui apporter par avion en Irlande.

Dans son arrêt, le juge définit 5 critères pour établir si une croyance philosophique pourrait tomber sous le coup de la règlementation du travail sur la discrimination religieuse. 1- Il faut véritablement adhérer à cette croyance. 2- Il doit s’agir d’une croyance et non d’une opinion ou d’une vue basée sur l’état actuel de l’information disponible. 3- La croyance doit toucher à un aspect lourd et substantiel de l’activité humaine. 4- Elle doit atteindre un certain niveau de rigueur, de sérieux, de cohérence et d’importance. 5- Elle doit être digne de respect dans une société démocratique, ne pas être incompatible avec la dignité humaine et ne pas entrer en conflit avec les droits fondamentaux des autres.

C’est précisément la nature « religieuse » ou scientifique de la croyance dans le changement climatique qui fait débat. On sait que, à l’initiative de l’Institute of Physics de Londres, une commission parlementaire enquête sur la manipulation de statistiques dont se seraient rendus coupables des chercheurs de l’unité de recherche climatique de l’Université de l’East Anglia. La plainte a été rédigée en partie par un consultant, Peter Gill. Celui-ci a récemment écrit : « si vous ne « croyez » pas dans le changement climatique anthropogène, vous risquez au mieux le ridicule, mais plus probablement des commentaires au vitriole et même la diffamation (« character assassination »). Malheureusement, pour beaucoup de personnes, le sujet est devenu une religion, de sorte que les faits et les analyses sont devenues de plus en plus privés de signification ».

Il est apparu que Peter Gill est à la tête d’un cabinet de consultants qui travaille pour de grandes compagnies pétrolières, ce qui entache sa contribution de partialité, d’autant plus que plusieurs membres de l’Institute of Physics ont critiqué la plainte déposée en leur nom. Il reste que, sur le sujet spécifique comme sur le domaine de l’environnement en général, il y a un risque sérieux que des attitudes dogmatiques prennent le pas sur la construction humble et difficile de preuves scientifiques. La conviction du changement climatique doit se fonder sur l’état actuel de l’information disponible. Elle ne devrait pas être de nature religieuse.

(Source : articles du quotidien The Guardian, 3 novembre 2009 et 5 mars 2010. Graphique : diminution observée et extrapolée de la surface des glaciers de l’Arctique, The Guardian)