France 5 a récemment diffusé « Charlie, le journal qui ne voulait pas mourir », film documentaire d’Hugues Nancy.
Créé il y a cinquante ans, en 1970, pour prendre la suite de Hara-Kiri (le journal bête et méchant), Charlie Hebdo a partie liée avec la mort. Il cesse de paraître de 1992 à 2006. Il est l’objet d’un incendie criminel en 2011 et déménage dans des locaux sécurisés au 10 rue Nicolas Appert à Paris. Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi lourdement armés y pénètrent et assassinent 11 personnes, dont 8 de l’équipe de rédaction.
Le reportage d’Hugues Nancy associe des images d’archive, un récit du procès des complices des auteurs de l’attaque contre Charlie Hebdo et l’Hyper-Cacher et des interviews : en particulier celle de Riss, survivant de l’attaque et actuel directeur de la rédaction ; de Coco, dessinatrice qui aujourd’hui encore peine à se déculpabiliser d’avoir, sous la menace d’une mitrailleuse, composé le digicode ; de Simon Fieschi, webmaster du journal, resté handicapé à vie après qu’une balle lui a traversé le cou ; de Richard Malka, l’avocat du journal.
Charlie Hebdo se définit comme un journal de dessinateurs. Lorsqu’un journal danois publie des caricatures de Mahomet et que des fanatiques prétendent les interdire par l’intimidation, il est hors de question, pour l’équipe de rédaction, de se plier à leurs injonctions. C’est son métier même qui est en cause et, au-delà, la liberté d’expression et la laïcité. Charb, Cabu, Tignous et les autres connaissaient les risques, même si une attaque d’une telle dimension et d’une telle férocité était inimaginable. Le numéro du journal publié la semaine suivant l’attentat présenta une caricature de Mahomet portant une pancarte « je suis Charlie ».
Le créneau de Charlie Hebdo, c’est la critique frontale contre les institutions : l’armée, la justice, la religion. Pendant des années, il s’est attiré les foudres des intégristes catholiques. Une association, l’Agrif, lui intenta un procès pour « racisme anti-chrétien ». La montée de l’intégrisme musulman place l’islam au rang de cible privilégiée ; et c’est le même mécanisme mental qui est à l’œuvre. Charlie Hebdo est accusé de racisme antimusulman. Mais cette fois, l’opinion de gauche est divisée : certains pensent que, certes, la liberté d’expression est sacrée, mais jusqu’à un certain point seulement. Il ne faudrait pas froisser la susceptibilité des anciens colonisés. L’attentat contre Charlie a provoqué, le 13 janvier 2015, un sentiment d’unité nationale sans précédent depuis la Libération, mais momentané.
Un dessin de Charlie Hebdo, publié lui aussi en 2015, a choqué. Il montrait le petit Aylan échoué mort sur une plage de Turquie à côté d’un panneau publicitaire vantant le bonheur à portée de main. Riss explique que le but du journal n’est pas de faire rire. Certains dessins peuvent même diffuser un profond malaise. Mais sa fonction n’est-elle pas de créer une distance, de stimuler le doute, de faire réfléchir ?