Chinchón

À l’occasion d’un périple à bicyclette de Teruel à Andujar, je publie des papiers rédigés lorsque je vivais à Madrid. Cet article sur le village de Chinchón, à une soixantaine de kilomètres de Madrid en direction de Valence, a été écrit le 14 mars 2004.

Il n’y a rien de plus délicieux que de déguster une anisette de Chinchón à la terrasse d’un des cafés de la Plaza Mayor. La forme de la place n’a rien de géométrique. Les architectes se sont adaptés à l’espace laissé vide entre une petite falaise et les collines des hauts quartiers, de sorte que les bâtiments forment un polygone irrégulier dont certains côtés sont incurvés. Des terrasses en bois les parcourent sur deux étages et offrent une tribune commode à qui souhaite assister au spectacle des badauds qui causent, des vendeurs d’ail qui bonimentent et des forains qui proposent aux enfants des tours de piste à dos d’âne. Le mot “piste” est d’ailleurs approprié, puisque le centre de la place est en sable et que des encoches dans les pavés permettent de la transformer en arène les jours de fête patronale.

La place de Chinchón est comme un décor où se joue pacifiquement la comédie humaine et où se célèbre occasionnellement la liturgie taurine. Une publicité télévisée récente l’a même transformée pour un moment en terrain pour le Real de Madrid, de sorte que tous les dieux d’Espagne semblent se rencontrer dans ce lieu béni. Le soleil de printemps et l’apéritif nous transportent dans une douce béatitude.

Sous les arcades, à côté du débit de tabac, se trouve rivée au mur une plaque commémorative, que personne n’a songé décaper ni fleurir, mais que personne non plus n’a osé desceller. On y lit:

  1. Esteban Recas de la Peña, âgé de 49 ans

Et son fils Esteban Recas Pelayo, âgé de 18 ans,

Morts pour Dieu et pour l’Espagne

Lâchement assassinés par les hordes marxistes de ce village

Dans la nuit du 27 juillet 1936

Sous les arcades du village (« pueblo ») de Chinchón, violence et haine sont enfouies, comme aux aguets. Concorde et tolérance n’ont rien de spontané : leur conquête est une lutte de chaque instant.

Le soir tombe sur Chinchón. Les réverbères s’allument, puis l’éclairage des terrasses donnant sur la place, enfin le phare des projecteurs sur les monuments. Les derniers reflets du jour, le clair de lune et la lumière artificielle se conjuguent pour donner à ce lieu un aspect de scène d’opéra avant l’entrée en scène des acteurs.

Une réflexion sur « Chinchón »

  1. Super souvenir ! Nous sommes allés ensemble à Chinchon dans la journée, le temps d’admirer cette si jolie place et de déguster quelques tapas arrosées de Chinchon…
    Bravo pour cet article !

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