Clairvaux, d’un enfermement à l’autre

La maison centrale de Clairvaux, prison pour longues peines, fermera à la fin 2022. Elle occupe depuis 1808 le site de l’Abbaye fondée par Saint-Bernard.

Jean-Noël Jeanneney a récemment consacré une  émission de la série Concordance des temps sur France Culture à « Ce que Clairvaux peut encore nous dire ». Il recevait l’historienne Isabelle Huellant-Donat, qui déplorait le projet de destruction des bâtiments carcéraux édifiés dans les années 1970 sur l’emplacement de l’Abbatiale. Elle considère en effet qu’il existe une continuité entre le monastère et la prison, et que raser l’incarnation la plus récente de cette continuité en raison de sa laideur constituerait un affront à l’histoire.

Rappelons que c’est en 1791 que le Code pénal a fait de la prison la principale manière de punir les délinquants et les criminels. Il fallait donc trouver des locaux pour les incarcérer. Or, de nombreuses abbayes, vendues aux enchères comme biens nationaux, étaient disponibles et offraient de larges espaces. Ce fut le cas de Clairvaux, mais aussi du Mont Saint-Michel ou de Fontevraud. En 1860, 13 des 28 maisons centrales occupent ainsi d’anciennes abbayes.

Mise aux enchères de l’Abbaye de Clairvaux, le 10 février 1792

Par ailleurs, il existe une parenté entre le monastère et la prison. Tous deux sont des lieux d’enfermement, choisi dans un cas, imposé dans l’autre. Clairvaux est enserré par un mur d’enceinte de 3 km. On y pénètre, aujourd’hui comme lorsqu’il était monastère, par une porte unique où les passages sont filtrés. Dans le monastère comme en prison, une règle rigoureuse définit l’emploi du temps, une large place étant faite au travail.

Le mur d’enceinte

Certes, les finalités de l’enfermement sont radicalement différentes, la perfection spirituelle dans le cas du monastère, le châtiment dans celui de la prison. Il faut ajouter que, dans le courant du 19ième siècle, le modèle de référence de la condition carcérale a évolué. Il était cistercien au début du siècle, avec des dortoirs et des réfectoires. Il devint peu à peu chartreux : le délinquant était invité à méditer dans le silence et la solitude de sa cellule sur ses errements et à s’amender. C’est de cette philosophie qu’est née la loi de 1875 imposant l’encellulement individuel, que l’on présente aujourd’hui comme la condition d’une incarcération digne.

Isabelle Huellant-Donat a participé, avec d’autres historiens, à la réalisation d’un remarquable outil multimédia intitulé « le cloître et la prison, les espaces de l’enfermement », qui nous invite à pousser, à Clairvaux, les portes du paradis (le monastère) et de l’enfer (la prison).

Atelier à Clairvaux en 1931

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