Confiteor, roman de Jaume Cabré (2011, traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud 2013) restera sans nul doute une œuvre littéraire majeure de ce début de siècle.
La présentation du livre en quatrième de couverture est lyrique : « retraçant l’itinéraire d’un enfant sans amour puis l’affliction d’un adulte sans dieu aux prises avec l’histoire du Mal souverain, Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane ». Elle restitue bien ce que ressent le lecteur au long des 900 pages de cet ouvrage unique.
Comment décrire le livre de Cabré ? Il raconte d’abord le destin d’un homme, Adrià Ardèvol sous la forme d’une lettre à la femme de sa vie, Sara, quelques années après sa mort. Il s’y exprime à la première personne – le registre des émotions – ou à la troisième personne – le registre de la distance d’un anthropologue. Première phrase du livre : « ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. » L’erreur a consisté à naître d’un père et d’une mère qui faisaient de lui, non l’objet de leur amour, mais l’enjeu de leurs ambitions contraires : devenir un érudit polyglotte pour le père, un violoniste virtuose pour la mère. L’autre erreur fut d’hériter d’un négoce d’antiquités fondé sur l’escroquerie et le copinage avec le régime franquiste.
Confiteor raconte aussi l’histoire d’amour d’Adrià et Sara. Sara est la femme de sa vie. « Sara. Des jours, des semaines, des mois à être à côté de toi et à respecter ce silence ancestral dans lequel tu t’enveloppais si souvent. Tu étais une fille avec un regard triste mais merveilleusement serein. » Sara qui disparait brutalement sans laisser d’explication ni de trace. Sara qui reviendra, des années plus tard, s’installer à Barcelone chez Adrià, mais avec des pans entiers de son passé douloureusement enfouis. Sara qui s’enfuira définitivement, dans la mort qu’elle demande à Adrià de lui donner par amour.
Confiteor raconte aussi l’histoire d’un violon construit à Crémone au dix-huitième siècle avec un bois taillé dans des arbres plantés dans les montagnes de Catalogne du temps de l’Inquisition. Un violon volé par des nazis à des déportés juifs à leur arrivée à Auschwitz. Un violon récupéré à vil prix par Felix Ardèvol, le père d’Adrià, à un nazi en fuite à la recherche désespéré d’argent liquide. Un violon dont Sara, Juive elle-même, exigera d’Adrià qu’il la restitue à son légitime propriétaire.
Confiteor raconte l’histoire de l’amitié entre Adrià et Bernat. Bernat devient le violoniste virtuose qu’aurait pu être Adrià s’il avait suivi les diktats de sa mère. Mais il se rêve en écrivain, comme son ami, et en romancier. Entre Bernat Plensa et Jaume Cabré, les personnages en viennent presque à se confondre.
Confiteor raconte surtout l’histoire d’hommes et de femmes qui se confessent impuissants face au mal absolu, mais surtout avouent en porter une part de responsabilité. Le vieil Alpaerts, le propriétaire du violon Storioni, survivant d’Auschwitz : « ce qu’il y avait de plus cruel c’était de savoir que nous conduisions nos petites filles à la mort en les tenant par la main : j’étais complice de l’assassinat de mes filles qui s’accrochaient à mon cou ou à mes jambes tandis que l’air glacé du wagon devenait irrespirable et personne ne regardait personne dans les yeux parce que nous étions tous tenaillés par les mêmes sentiments. »
Certains hommes essaient de se racheter, comme Konrad Budden, médecin d’Auschwitz qui faisait des expériences médicales sur des enfants. Il se fait trappiste, puis crée en Afrique un hôpital pour les enfants. Quand on vient l’assassiner, il le ressent comme un soulagement : rien ne peut guérir le mal quand il est total et que Dieu a déserté. L’inquisiteur, le nazi, l’islamiste qui fait lapider la jeune femme qu’il a déshonorée, l’homme qui assassine son épouse parce qu’il estime avoir le droit de vivre avec sa jeune maîtresse participent à l’avancée invincible du mal.
Le roman de Jaume Cabré est profondément pessimiste. Pourtant, il y a plus fort que le mal : une sonate au violon ; le regard d’un enfant qu’on met à mort.