Dangereux à perpétuité ?

Dans le cadre de l’émission « Infrarouge » de Marie Drucker, France 2 a récemment diffusé un documentaire de la journaliste Frédérique Lantieri sur le centre national d’évaluation (CNE) de la prison de Fresnes. Son titre : « dangereux à perpétuité ? »

Le CNE est présent dans quatre établissements pénitentiaires en France, dont Fresnes, sa plus ancienne implantation. Sa première mission est l’évaluation des personnes condamnées à des grosses peines par la Cour d’assises – au moins plus de 10 ans – pour déterminer leur psychologie, leur personnalité, éventuellement leur projet de vie afin de les envoyer dans un centre de détention qui corresponde à leur personnalité et à leur désir de formation professionnelle.

Le film de Frédérique Lantieri s’intéresse à une autre mission du CNE : évaluer les risques de récidive des personnes condamnées à de lourdes peines qui demandent une libération anticipée. Chaque session dure 6 semaines, pendant lesquelles les détenus – une vingtaine par session – sont rencontrés par des psychologues et des conseillers d’insertion, pris en charge par des éducateurs sportifs, observés par les surveillants, mis sous écoute téléphonique.

La journaliste a obtenu l’autorisation de l’administration pénitentiaire, puis l’accord pour être filmés de trois détenus : William, condamné à vingt ans pour viol et séquestration d’une femme de 85 ans, Stéphane, à quinze ans pour le meurtre de son dealer, et Bruno, à dix ans pour le viol de sa nièce de 13 ans. Elle a enfin convaincu quelques professionnels de laisser la caméra pénétrer dans leur quotidien professionnel.

Le directeur du CNE, Julien Bernard, est convaincu de l’efficacité de sorties anticipées accompagnées. la progressivité de la sortie, son accompagnement sur plusieurs années, réduit fortement le risque de récidive. On sait que les « sortes sèches » sont désastreuses. Mais il est conscient aussi du risque de laisser sortir dans la nature des personnes qui peuvent perpétrer à nouveau leurs crimes.

Une méthodologie d’évaluation de la dangerosité est mise en œuvre au CNE. Elle consiste à lister les facteurs qui favorisent un retour apaisé dans la société et, d’un autre côté, les risques que la personne une fois libérée commette de nouveau un crime.

Du côté apaisement / consolidation, ce qui revient souvent est la pleine reconnaissance de la gravité des actes commis, la capacité à s’adapter à la société et à retrouver un travail, la qualité du lien avec la famille, voire avec une compagne.

Du côté des risques, on cite la minimisation de ce qui a valu la peine de prison, la toxicodépendance, les éruptions de violence. Une scène glaçante est l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre un détenu et sa compagne qu’il agonit d’injures et qu’il menace.

Le rapport du CNE est remis au tribunal d’application des peines, qui peut décider d’une libération conditionnelle, d’un placement sous surveillance électronique ou d’un placement extérieur, comme il peut refuser la demande de liberté, ou se contenter de recommander des permissions de sortir plus fréquentes.

La réalisatrice Frédérique Lantieri s’interroge. « Que fait-on quand on est incarcéré pendant de longues années ? Au-delà de trouver de quoi tuer le temps, prend-on la mesure de son crime ? En couvrant de nombreux procès d’assises et en présentant plus de cent histoires criminelles pour Faites entrer l’accusé, je me suis régulièrement posé cette question. Que sont devenus les criminels que nous avions évoqués ? Ont-ils changé en prison ? Qu’ont-ils fait de leur peine ? Ont-ils entrepris une remise en cause personnelle ou se sont-ils contentés d’attendre que le temps passe ?

« Au-delà de la « punition » et de la protection de la société, la prison peut-elle « servir » aux détenus ? Peut-on devenir un autre homme ? Peut-on ne plus être « dangereux » ? La mission du CNE, qui est méconnue tant du public que des personnels de justice, est notamment de répondre à ces interrogations universelles. Il doit évaluer les risques de récidives des « longues peines » qui demandent une sortie anticipée. Et il prétend le faire avec des outils « scientifiques ». Mais peut-on déterminer « objectivement » la dangerosité d’un détenu ? »

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