David Desclos, dont « transhumances » a rendu compte du spectacle « Écroué de rire », a publié en 2019 chez Flammarion le récit du chemin implacable qu’il a suivi : maternelle, école élémentaire, collège, prison. Avec pour sous-titre : « le destin n’existe que pour être changé. »
Cette autobiographie s’arrête en 1994, lorsque David a 20 ans et une existence marquée par la misère, la délinquance et la prison. Elle est donc publiée un quart de siècle plus tard, alors qu’il a changé de vie, épousé Nora, son amour de toujours, eu d’elle trois enfants et commencé une carrière d’homme de spectacle.
L’auteur raconte que son père a connu lui-même la prison. « Quand je fouille a plus profond de ma mémoire, je n’arrive pas à trouver un autre moment plus ancien que celui-là : moi assis sur les genoux de ma mère en train d’enfoncer mon petit doigt dans les trous de la vitre de l’hygiaphone qui nous séparait de lui (…) Mon père m’avait regardé et avait fait pareil pour jouer avec moi, à la fois heureux et triste. »
Son père était profondément abîmé par l’alcool. David raconte que ses compagnons de mauvais coups buvaient beaucoup d’alcool. « Je n’en ai pas eu besoin, je suis tombé dedans petit. » Sa mère devait se débrouiller pour payer le loyer et les factures. « Une vie à craindre le père qui boit, pas d’argent pour manger, ni pour s’habiller. Dès l’âge de cinq ou six ans, c’est moi qui allais chiner chez les voisins pour un peu de pain, de lait ou n’importe quoi à manger. J’étais fier de ramener ma débrouille à la maison. Plus j’ai grandi, et plus je me suis débrouillé. »
Peu à peu, avec l’âge, la débrouille s’est sophistiquée. Le vol à l’étalage de produits alimentaires ou de fournitures scolaires par le petit garçon est devenu un « métier » pour l’adolescent et le jeune adulte qu’il est devenu. Dans sa cité à Caen, il devient chef de bande : « Business de shit le soir, caisses et filouterie la journée et cambriolages des boutiques de luxe la nuit. Financièrement, ça allait de mieux en mieux. Ma mère n’a plus eu de retard de loyer, on a acheté des meubles plus beaux que ceux que les huissiers nous avaient emmenés. »
David raconte des vacances en Catalogne : un carnage, écrit-il, avec en ce qui le concerne une cible privilégiée : les hôtels de luxe. Il se faisait facilement passer pour un client, habillé qu’il était des vêtements volés dans des boutiques de luxe. Il se glissait dans les buanderies, dérobait des clés de chambres, vidait les portefeuilles.
Il imposait à sa bande des principes : « être droit, pas d’arnaque, pas de balance et ne pas fricoter avec la police. » On opèrait sans arme et sans violence. « On y mettait toute notre intelligence. » Mais le succès de la bande suscite des convoitises. « Dans le quartier et partout où on se déplaçait, à la moindre embrouille ça prenait des proportions d’une rare violence. »
La police finit par l’arrêter, il est jugé pour un cambriolage, aucun élément concret le mettant en cause pour les dizaines d’autres qu’il avait commis. Il est incarcéré à la maison d’arrêt de Caen, puis au centre de détention d’Argentan. Les anciens de la bande ou des bandes rivales y arrivent par fratries entières. David parvient à mettre en marche dans la prison son « business » : « Tous ceux qui voulaient du shit ou des fringues faisaient entrer des billets par le parloir. On contrôlait chaque galerie, chaque promenade (…) Que pouvions-nous faire d’autre ? Vivre comme des clochards dans la prison ? Impossible ! C’était en nous, nous étions des démerdards. »
Un surveillant croit le punir en le plaçant dans un quartier où dominent les Maghrébins. « J’ai la chance de vivre en Algérie. C’est une richesse, chaque jour, de découvrir cette culture. J’apprends à faire des makrouts, le couscous, la chouchouka et tellement d’autres plats algériens qui améliorent notre gamelle. » Un chef de bande devenu son ami lui donne aussi des cours d’arabe.
Les mots « rigolade » ou « morts de rire » reviennent fréquemment dans ce récit. La délinquance est une activité beaucoup plus divertissante que des métiers honnêtes où l’on est sous-payé, épuisé, cassé et sous la menace des suppressions d’emploi. Même au mitard, il parvient à communiquer avec des camarades punis comme lui. « Je parle de délires et de rigolade au mitard, mais je dois dire que les jours et les nuits là-bas, c’étaient l’enfer. Un être humain a toutes les raisons d’y perdre les pédales. »
« J’étais jeune et fou, engagé dans un combat, une lutte, pensant que je ne sortirais ma famille et mes amis de la misère que par ce chemin, et en me jurant à moi-même de les protéger coûte que coûte. » C’est paradoxalement une éthique de responsabilité qui l’entraîne sur la voie de la délinquance. Plus tard dans sa vie, cette même éthique le conduira à changer totalement d’existence. « Le destin n’existe que pour être changé. »
Merci pour ce document.
Ça me touche particulièrement, moi qui suis fille d’un repris de justice et qui ai quelque peu fricoté avec la délinquance.
Oui heureusement le destin peut se métamorphoser à chaque instant.