Dans « Décarcérer, cachez cette prison que je ne saurais voir », petit essai de 128 pages écrit en 2020, Sylvain Lhuissier plaide pour la décroissance carcérale et le développement de peines alternatives à la prison qui encouragent la « désistance ».
« Peu de gens pensent que la prison est un bel outil, écrit-il. La plupart d’entre nous savent qu’il y a un problème. Que quelque chose ne tourne pas rond. » Lhuissier démonte, un par un, les préjugés culturellement si enracinés qu’aucun responsable politique n’ose « vider les prison » et s’inscrire dans une logique pénale dont l’objectif serait de réconcilier les infracteurs avec la société.
Il imagine un dîner de famille. C’est l’apéritif. « Votre belle-sœur vient de lancer les hostilités et elle n’y va pas de main morte : « la prison, c’est le Club Med ! » » Voici le grand-père qui ouvre la question économique : « les détenus sont nourris, logés, blanchis, faisons-les payer ! » « Il faut bien se protéger des délinquants, non ? » dit la grande sœur. « Mais enfin, il faut bien qu’ils paient pour ce qu’ils ont fait ! », ajoute votre oncle.
Sylvain Lhuissier démonte, un par un, ces préjugés. Il explique que la prison est un échec colossal dans son ambition de protéger la société : 59% des détenus récidivent dans les cinq ans suivant leur libération. « À ce jour, on n’a pas trouvé de peine qui génère autant de récidive que la prison. » Pourtant, bien des ministres de la Justice ont fait face à un tollé lorsqu’un sorti de prison commettait un crime. Lequel d’entre eux « a vécu une tempête médiatique ou politique à cause du taux de récidive effrayant à la sortie de prison ? Aucun. »
« Dans un système carcéral qui fonctionnerait, la prison serait un lieu où l’on grandirait, où l’on mûrirait, un lieu d’apprentissage de l’autonomie. Un endroit qui nous préparerait à vivre une vie d’adulte dans le monde extérieur. » Or, c’est là que le bât blesse. La prison est infantilisante. Empêcher les évasions est la préoccupation majeure. Le niveau de sécurité est déterminé pour contraindre des criminels dangereux. Or, seulement 1,5% des personnes condamnées à la prison ferme sont des criminels.
« On a depuis longtemps inscrit dans la loi le principe de l’individualisation de la peine, mais la vie en détention est au format unique ou presque, écrit l’auteur (…) Imaginez un hôpital sans services ni spécialités. Quelle que soit votre pathologie, l’urgence de votre situation et la durée de votre séjour, vous aurez le même traitement. Votre voisin de chambre pourrait aussi bien être dans le coma, avoir une tuberculose ou souffrir d’une grave hémorragie. Ou les trois à la fois. Même traitement ! »
Pour Sylvain Lhuissier, il n’y a qu’une fonction réaliste qu’on puisse conférer à la prison : « mettre une personne à l’écart quand celle-ci risque de nuire gravement à la société. L’incarcération peut servir à désamorcer une situation brûlante ou explosive, dans le cas par exemple de violences conjugales, ou d’un règlement de comptes. Cette solution est intrinsèquement provisoire, car la personne incarcérée ressortira de prison. »
Il en appelle à la volonté politique. Il faudrait cesser de flatter l’opinion publique dans le sens du poil et lui laisser croire qu’en vidant les prisons « des hordes de délinquants vont déferler dans les rues, armés et violents. » Il faudrait avoir le courage de placer la désistance au cœur du système pénal.
« La désistance est le processus par lequel une personne quitte la délinquance, et cesse de récidiver. » Ce n’est pas un moment, c’est une trajectoire. La dynamique enclenchée est rarement linéaire, elle n’est pas exempte de rechutes : le risque zéro n’existe pas. Mais les statistiques montrent que lorsque les personnes délinquantes sont vraiment soutenues dans leur effort pour changer de vie, la probabilité qu’elles récidivent est réduite. Le travail d’intérêt général ou le placement extérieur, par exemple, produisent d’excellents résultats.
« Décarcérer » comporte des suggestions inattendues : qu’on ne laisse pas un élève finir sa scolarité sans avoir assisté à un procès ; ou encore que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation jouent un rôle plus important dans la détermination de la peine, celui des juges se recentrant sur le prononcé de la culpabilité des justiciables.
Le plaidoyer de Sylvain Lhuissier est passionnant et, selon moi du moins, convaincant.