« Des Hommes », film de Jean-Robert Viallet et Alice Odiot (2019), propose au spectateur une immersion dans l’ancienne prison des Baumettes à Marseille.
Les cinéastes ont obtenu de l’Administration pénitentiaire l’autorisation de filmer la prison pendant 25 journées, échelonnées de 2016 à 2018. Beaucoup de documentaires se placent du point de vue des surveillants ou des conseillers d’insertion. Celui-ci entre dans l’intimité des détenus, jusque dans leurs cellules.
Il n’y a aucune commentaire « off », seulement les bruits de la prison, les voix de ceux qui y sont enfermés, les échanges verbaux en commission de discipline, des détenus tziganes chantant dans leur cellule. La musique de Marek Hunhap souligne l’anxiété, l’ennui, l’agacement, sentiments que la prison amplifie jusqu’à les rendre assourdissants.
Le film s’ouvre et se conclut par l’image d’un homme enfermé derrière une porte vitrée, tournant comme un lion en cage. « Au bout du compte, c’est à une expérience physique qu’a été soumis le spectateur. Elle vaut mieux que toutes les thèses », écrit Véronique Cauhapé dans Le Monde.
Un homme plaide sa cause dans le bureau de la cheffe de détention. Son compte est à zéro, il ne peut pas « cantiner » les cigarettes sans lesquelles son weekend sera un enfer. Il prétend ne pas être l’auteur d’un bon de cantine commandant des pâtes qui a asséché son compte. Avec humour, son interlocutrice tente de le raisonner, lui promet de faire quelque chose pour lui.
Une infirmière vient livrer des médicaments. L’homme derrière la porte de cellule que le surveillant vient d’ouvrir semble un zombie, abruti de calmants.
Dans la salle de visioconférence, un détenu fait face à sa juge et à la procureure par écran interposé. La procureure est impitoyable, le son est de si mauvaise qualité que son réquisitoire se perd dans un brouhaha incompréhensible. Du côté tribunal, l’avocat bout d’indignation.
De nouveau dans le bureau de la cheffe de détention, un homme d’une trentaine d’années évoque ses nombreuses années en détention. Un véritable « tourisme pénitentiaire », en particulier dans les « prisons 13000 », les 25 établissements construits au début des années 1990 sur le même modèle, loin des villes.
Un sujet revient régulièrement : celui des enfants que l’on ne voit pas grandir, qu’on ne peut aider à grandir. Une plaie béante.
« Des Hommes » a été présenté au cinéma Utopia de Bordeaux dans le cadre des Journées Nationales Prison. Dans le débat qui a suivi la projection, plusieurs spectateurs ont dit avoir ressenti ce film comme exagérément noir. Des intervenants ont souligné le travail fait par les professionnels de la pénitentiaire et les bénévoles pour organiser des « parcours de peine » s’appuyant sur l’enseignement (Éducation nationale), la santé (Agence régionale de santé), le travail, l’accompagnement personnel par les conseillers d’insertion et de probation.
Il est vrai que « Des Hommes » est centré sur la détention et n’évoque pas ces dispositifs qui travaillent à la réinsertion des personnes. Quant à moi, j’ai aimé ce film. Depuis dix ans, je visite des personnes détenues en maison d’arrêt : c’est leur vécu que j’ai trouvé exprimé dans le film de Jean-Robert Viallet et Alice Odiot. Un vécu fait de moments de désespoir et de violence, mais surtout pétri d’une profonde humanité.
Les réalisateurs disent que leur film doit beaucoup à l’appui de l’ancienne directrice des Baumettes, Christelle Rotach : « elle a eu envie de nous ouvrir les portes, de nous montrer son quotidien, les 8 000 entrées et sorties par an, elle avait envie de montrer aux juges ce dans quoi ils enfermaient les hommes et ce qu’elle avait à gérer après la sentence. »