Le film de Xavier Beauvois « des hommes et des dieux » est projeté en ce moment dans le cadre du London Film Festival.
En France, le film de Xavier Beauvois rencontre un immense succès, porté par le bouche à oreille : plus de 2 millions d’entrées en cinq semaines d’exploitation, le nombre d’écrans doublé pour faire face à ce succès inattendu. Il m’a personnellement touché : dans les années soixante dix, j’ai fréquenté plusieurs fois Tamié, l’abbaye mère de Tibehirine en Savoie ; à la même période j’ai vécu deux ans en Algérie au contact de prêtres, de religieux et de religieuses qui avaient décidé de rester dans ce pays par solidarité avec son peuple et pour porter témoignage de leur foi silencieusement et sans prosélytisme. J’ai trouvé le film fidèle à la fois à l’esprit de ces chrétiens en terre d’Islam et aux rythmes et à la liturgie monastique. Une incongruité m’a choqué : je suis certain que les moines parlaient l’arabe dialectal avec la population, car j’ai moi-même bénéficié de l’enseignement intensif en laboratoire de langue que prodiguaient les Sœurs Blanches ; pour ménager les spectateurs, les dialogues en arabe ont été réduits au minimum.
« Des hommes et des dieux » nous présente les moines comme des héros malgré eux. Ils sont tentés de rentrer en France sous la pression du risque d’attentat islamiste et de l’hostilité du régime militaire ; confrontés à la perspective du martyre, certains sont en proie au doute et au silence de Dieu. Ils restent pourtant, en partie parce que nul ne les attend de l’autre côté de la Méditerranée, en partie parce qu’ils ont partie liée avec les villageois qui les entourent. « Nous sommes l’oiseau sur la branche », dit Christian, le père abbé. « Non, nous sommes les oiseaux et vous êtes la branche », lui répond une femme algérienne.
Plusieurs scènes du film constituent des grands moments de cinéma, comme lorsque les moines répliquent par des cantiques au vrombissement d’un hélicoptère militaire venu les impressionner ; ou comme, recevant l’un des leurs qui revient de Tamié avec du fromage et des bouteilles de bon vin, ils communient silencieusement à la limite des rires et des larmes dans l’émotion du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. La Cène du Christ la veille de sa passion est en filigrane.
Tous les acteurs sont formidables, en commençant par Lambert Wilson dans le rôle du père abbé et Michael Lonsdale dans celui du frère médecin.
Affiche du film « des hommes et des dieux ».
J’avais pour ma part été gênée par le côté très BCBG de Lambert Wilson dans le rôle du prieur, et de plus déçue par le scénario le concernant : je trouvais qu’il répondait trop au rôle stéréotypé du chef des gentils qui a réponse à tout, et est plus fort que tous les autres. Je l’aurais préféré plus humain. Mais en lisant le dossier du journal La Croix sur le film, j’ai compris qu’il avait effectivement un charisme très particulier. La question reste tout de même entière, dès lors qu’on n’est plus très sûr que Dieu existe, de la justification de prendre soi-même et de faire prendre aux autres de tels risques pour témoigner de la force de la non-violence et de la paix.