Des mille et une façons d’être juif ou musulman

« Des mille et une façons d’être juif ou musulman », dialogue entre Delphine Horvilleur, rabbin, et Rachid Benzine, islamologue, est un livre tonique qui attaque de front les fondamentalismes religieux.

Le dialogue entre la juive et le musulman est organisé par un sociologue des religions venu du monde catholique : Jean-Louis Schlegel. Le livre est structuré en 8 chapitres qui traitent de questions de fond largement débattues aujourd’hui : l’identité, la laïcité, la place des femmes, la filiation, la violence… et finalement Dieu lui-même.

Benzine comme Horvilleur considèrent qu’aucune religion ne possède la vérité : « la vérité n’est la propriété de personne, et nos traditions proposent des chemins différents pour s’en approcher. Celui qui dit la posséder est prêt à détruire le monde à coups de certitude. »

Delphine Horvilleur, Rachid Benzine

L’illusion de la pureté originelle

Cette position est radicalement opposée à celle des fondamentalistes, de quelque religion qu’ils se réclament. Ceux-ci se sont convaincus qu’ils détiennent la vérité originelle de leur religion. Leur point commun, c’est « l’obsession de démontrer qu’à l’origine régnait une pureté parfaite, et que la rencontre avec l’histoire – ou avec l’autre – a été une forme de contamination. »

Ils prétendent répliquer ce monde supposé parfait en le corsetant de règles juridiques définissant dans le plus grand détail ce qu’il faut manger ou la manière de se vêtir. Benzine parle d’une « halalisation » de la religion musulmane. Horvilleur dénonce la ritualisation excessive du judaïsme orthodoxe.

L’un et l’autre soulignent que le fondamentalisme connait un succès foudroyant parce qu’il n’a besoin ni de culture, ni de liberté intérieure. Par son obéissance aveugle, l’adepte imagine que son salut est garanti. Il n’a pas besoin de courir le risque de se frotter aux autres. Le respect des règles le place du côté des élus, au-dessus des mécréants.

Delphine Horvilleur

L’héritier ne thésaurise pas, il fait fructifier

Or, disent Benzine et Horvilleur, qu’est-ce qu’être « héritier » ? Cela « ne consiste pas à mettre ce qui a été reçu dans un coffre fermé à clé, mais à le faire fructifier ; de même, cela ne consiste pas à reproduire à l’identique ce qui a été obtenu, mais à le renouveler ». Le prix de la fidélité à la tradition, c’est une infidélité : il faut en effet oser la réinterpréter dans le contexte culturel d’aujourd’hui.

Les textes anciens ne peuvent pas être pris au pied de la lettre. Le récit de la Genèse n’est pas une relation historique de ce qu’ont vécu Adam et Ève ; c’est une légende ancienne, qui évoque des traits de la nature humaine. Nous sommes héritiers des sens multiples des mots. Delphine Horvilleur ose dire que les textes anciens sont « enceints » de nouveaux sens. Elle appelle à un dialogue entre les religions fondé sur un travail en commun sur les textes fondateurs, pour comprendre comment ils parlent aujourd’hui à des communautés de croyants.

La religion parfaite des origines n’a jamais existé. La religion musulmane, observe Benzine, s’est trouvée codifiée par les Omeyyades et les Abbassides des décennies et des siècles après le Prophète Muhammad. Il est frappant de constater que le judaïsme comme l’islam sont nés d’arrachements. Moïse entraîne le peuple juif hors d’Égypte ; Muhammad quitte sa ville de la Mecque pour Médine (hégire).

Rachid Benzine

Une identité d’arrachement et de fertilisation

Toute l’identité juive, dit Horvilleur, « est une identité d’arrachement et de fertilisation par l’autre ». Elle parle de la nécessaire « porosité » de la religion, de son enrichissement au contact de l’altérité.

Le judaïsme comme l’islam se réfèrent au Dieu unique et combattent l’idolâtrie. C’est même ce combat qui les constituent. Or, il y a une manière de considérer sa religion comme sa chose qui n’est pas autre chose que de l’idolâtrie. En ce sens, il n’est pas faux de dire que la religion devrait comporter une dose (ou des phases) d’athéisme : tuer les faux dieux et rechercher le Dieu véritable, qui est toujours au-delà.

Ceci amène une réflexion sur le blasphème. « Considérer que Dieu est si petit qu’il a besoin qu’on se préoccupe de ses besoins ou de ses droits, l’imaginer si minuscule qu’il aurait besoin de nous pour venger son honneur… : voilà le blasphème ! »

Jean-Louis Schlegel

Prendre le risque du doute et de la confrontation

Les deux auteurs sont heureux dans leurs traditions religieuses respectives, mais ils les considèrent comme une source d’inspiration qui les met en chemin. Benzine note en particulier que Charia signifie à l’origine le chemin qui, dans le désert, mène à un point d’eau (le mot signifie aujourd’hui « boulevard » dans les villes arabes, en même temps que code juridique). Ils invitent les croyants à prendre le risque du doute, du questionnement et de la confrontation avec d’autres religions et d’autres cultures.

Ils les invitent à accepter avec joie de « vivre avec de l’absence et du manque, avec quelque chose qui n’est pas complet, qui ne peut pas être transformé en veau d’or ». Ils évoquent le pluralisme comme une richesse, celle qui écarte la violence dogmatique et permet de vivre ensemble.

« Des mille et une façons d’être juif et musulman » est un beau livre, un livre utile.

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