L’Observatoire International des Prisons a récemment organisé à Bordeaux une intéressante rencontre-débat sur le thème « Prisons, un service public ? Qu’en savons-nous ? »
Organisée avant les attentats du 13 novembre, cette rencontre a eu lieu quelques jours après, alors qu’une très forte demande sécuritaire s’exprime dans l’opinion. Demander moins d’incarcération et plus de peines alternatives ne va pas vraiment dans le sens du vent.
La soirée s’est ouverte par la projection d’un court métrage (10 minutes) réalisé par Jean Rubak et Amélie Compain dans le cadre d’un atelier vidéo avec des détenus de la Maison Centrale de Saint Martin de Ré. Il s’agit d’une fiction au scénario décapant. Le directeur d’une grosse entreprise de travaux publics se désole de ce que, la criminalité étant en baisse, les établissements pénitentiaires se vident et les commandes de nouvelles prisons en partenariat public-privé s’assèchent. Il convient de réagir à cette désagréable situation pour retrouver un business profitable. Le directeur de la communication réunit un général, un médecin et un juge, qui rivalisent d’idées saugrenues sur le thème « la prison pour tous » ! De la colonie de vacances pénitentiaire à la résidence hôtelière carcérale, tout est bon à prendre si cela fait vendre du béton. Car, on le sait, « quand le bâtiment va… »
Les cinq comédiens amateurs sont des détenus de Saint Martin de Ré. Le film a été tourné dans un local exigu de 18m² sans fenêtre. Le « décor » du bureau du directeur de l’entreprise de BTP a été réalisé à partir de dessins sur lesquels les images des acteurs, préalablement découpées, ont été collées au montage. Produit par le Festival du Film de La Rochelle, ce film est une pépite d’inventivité et de drôlerie.
Les détenus de Saint Martin de Ré purgent de longues peines, sanctionnant les crimes qu’ils ont commis. Au cours du débat organisé à Bordeaux par l’OIP, la question des très longues peines a été discutée. La pression populaire va dans le sens d’enfermer les auteurs d’actes horribles aussi longtemps que possible. Il s’agirait de les retrancher de la société, comme le faisait la peine capitale, qui retranchait un condamné du monde des humains en lui tranchant la tête.
L’expérience montre qu’à leur sortie après 10 ou 20 ans de prison, les détenus se trouvent souvent inadaptés à la vie en société. Il leur faut réapprendre les gestes de la vie quotidienne et s’ajuster à un monde qui a changé en leur absence, alors que leur jeunesse est derrière eux. Certains, abrutis de solitude et de médicaments, sortent de prison usés, incapables de se prendre en charge. D’autres, engagés dans une spirale de ressentiment et de haine, ne pensent qu’à leur vengeance, et gare à qui se trouvera ou se retrouvera sur le chemin de ces fauves.
Le film de Jean Rubak et Amélie Compain donne aux détenus la parole, comme le font des groupes de parole organisés par des psychologues, ou bien encore les visiteurs de prison dans l’espace de confidence personnelle qu’ils ouvrent semaine après semaine. La violence nait parfois d’un déficit de mots, de l’incapacité d’exprimer un mal-être autrement que par les poings ou par les armes. Mettre des mots soulage, parfois, les maux.