Désobéissance

Dans « Disubbidienza » (Désobéissance), roman publié en 1948, l’écrivain italien Alberto Moravia décrit la crise existentielle qui mène un adolescent de 15 ans au bord de l’anéantissement et la sortie du tunnel par une initiation sexuelle.

 La lecture de « Disubbidienza » m’a été suggérée par Danny Laferrière dans son « journal d’un écrivain en pyjama ». En voici les premières phrases : « À l’issue de vacances à la mer, sur le lieu habituel, Luca revint en ville avec la sensation qu’il n’allait pas bien et qui tomberait bientôt malade. Il avait grandi de manière anormale ces derniers temps. À quinze ans, il avait déjà la stature d’un homme adulte. Mais les épaules étaient demeurées étroites et frêles, et dans le visage blanc, les yeux trop intenses semblaient dévorer les joues hâves et le front pâle. »

 Luca, déjà adulte et encore enfant, ne s’aime pas soi-même et il n’aime pas le monde et ce que le monde voudrait lui imposer. Cette haine lui fut révélée le jour où il surprit ses parents enfourner des billets de banque et des titres boursiers dans un coffre-fort. Le coffre était dissimulé derrière le portrait d’une Madone devant laquelle, enfant, on le faisait prier à genoux. En somme, il découvrit alors que ce n’était pas la Vierge, mais le dieu Fric, qu’il adorait sans le savoir.

 Luca se rebelle contre un destin qui lui a été imposé, qu’il n’a pas choisi. En réaction, il décide de détricoter le tissu de son existence conditionnée. Il va désormais désobéir, « mais pas avec les violences obscures d’un corps exténué, comme dans le passé, mais en suivant un ordre, un plan, avec calme et détachement, comme s’il appliquait les règles d’un jeu. »

 

Alberto Moravia
Alberto Moravia

C’est donc méthodiquement que Luca se détache de ce qui faisait sa vie. Il cesse d’étudier, offre à un camarade de classe sa précieuse collection de timbres, détruit les billets de mille lires qu’il a économisées. Il cesse de manger, la plus grave des désobéissances, celle qui attaque le plus l’autorité familiale. À ce point, le jeu devient dangereux et son issue ne peut être que la mort.

 Deux événements vont accélérer la crise. Une première initiation sexuelle par une femme d’une trentaine d’années fait découvrir à Luca le plaisir charnel et le place dans l’embarras : ne serait-ce pas une ruse du vieux monde pour le rattraper et le rattacher à cette vie qu’il veut quitter ?

 Au lycée, lorsque le maître ordonne aux élèves de s’asseoir, il reste debout. Sommé de lire un texte de Dante sur la mort de Lucrèce, il interrompt abruptement la lecture. Renvoyé chez lui, il attrape froid, tombe malade et reste des semaines entre la vie et la mort, cette mort qu’il se prend à désirer avec la sensualité même qu’il avait éprouvée avec son premier baiser.

 Luca découvre alors que c’est par amour qu’il veut mourir, pour se libérer du sentiment de haine et d’absurdité qui l’empêchait d’aimer les siens et le monde comme il l’aurait voulu. Il émerge peu à peu de ses cauchemars et de son jeu morbide. Il est sur le chemin de la guérison. L’infirmière qui l’a veillé pendant sa maladie lui offre son corps et lui fait l’amour. Cette expérience change radicalement sa vision du monde. « C’est vraiment ça qui devrait être la vie. Non pas le ciel, la terre, la mer, les hommes et leurs positions sociales, mais une caverne sombre et ruisselante de chair maternelle et amoureuse dans laquelle on entrerait confiant, sûr de ce qu’on y serait protégé comme on l’avait été par sa mère quand on était porté dans son sein. »

 Disubbidienza est un passionnant roman sur cet âge de l’adolescence pendant lequel la mue est un jeu dangereux, sur le fil du rasoir, qui met aux prises de désir de mort et l’envie de vivre.

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