Giulio Andreotti vient de mourir à l’âge de 94 ans. Surnommé « Belzebuth », « le Divin », « l’inoxydable », il a marqué la politique italienne depuis 1945.
Andreotti a été membre du Parlement italien sans interruption depuis 1945 jusqu’à sa mort, à la Chambre des Députés puis, à partir de 1991, comme Sénateur à vie. Il a été 7 fois président du conseil et 21 fois ministre. C’est un personnage hors du commun qui vient de s’éteindre, auquel Paolo Sorrentino a dédié un film en 2009, « il Divo » : un expert en combinazioni et machinations, un homme de l’ombre dangereusement proche de chacun des drames qui ont bouleversé l’Italie depuis la seconde guerre mondiale, la Loge P2, la banque Ambrosiano, l’assassinat d’Aldo Moro, la Mafia…
Sa personnalité était complexe. D’un côté, il apparait comme un politicien avide du pouvoir pour le pouvoir, positionné au centre du centre afin de pouvoir jouer un rôle de premier plan quelle que soit la configuration politique, changeant sans scrupule de tactique et d’alliances, aussi cynique qu’impénétrable : d’une divine habileté selon ses admirateurs, d’une perversion diabolique digne de Belzebuth selon ses détracteurs. Mais il faut reconnaître aussi une profonde continuité dans sa ligne politique. Catholique convaincu, commençant chacune de ses journées par la messe, il était fondamentalement anticommuniste et a sans cesse œuvré pour amarrer l’Italie au monde occidental, à l’OTAN et à l’Europe. La chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS signèrent la décomposition de la Démocratie Chrétienne et la fin du leadership d’Andreotti.
D’un côté, Giulio Andreotti fréquentait des milieux louches, pour ne pas dire ouvertement criminels. La justice le condamna en 2002 à 24 ans de prison pour avoir commandité le meurtre, exécuté par la Mafia en 1979, du journaliste Mino Pecorelli ; il fut innocenté en appel l’année suivante, mais largement pour des raisons procédurales et sans effacer les doutes. Mais il faut reconnaître aussi qu’au contraire de Berlusconi, Andreotti n’a jamais mis en cause la légitimité de la justice, attaqué les juges, recouru à des procédés dilatoires. Il a participé aux audiences, défendu sa cause pied à pied mais sans jamais discréditer l’institution judiciaire.
Le divin Belzebuth illustre bien le tableau d’ombres et de lumière de l’Italie de la seconde moitié du vingtième siècle : un pays agricole arriéré saigné par l’émigration devint une puissance industrielle mondiale ; mais aussi un pays, cofondateur de l’Union Européenne, qui ne parvint pas à générer une classe politique saine et crédible, à la mesure de son rang international.