Pierre Estlimbaum, aumônier laïc à la maison centrale de Poissy de 2003 à 2013, a récemment publié à compte d’auteur le récit de son expérience sous le titre « Dix ans de prison, un aumônier protestant à la prison centrale de Poissy ».
Sans surprise, une bonne part du livre est consacrée à la parole évangélique : « c’est porteur de cette parole que j’ai franchi les dix-huit portes pour transmettre à ces hommes, rejetés par la société, l’espoir du pardon, de retrouver leur dignité à travers l’amour du prochain. » Ou encore : « personnellement, je n’ai jamais autant ressenti la présence du Christ que derrière ces barreaux, au milieu de mes frères détenus. » Ces personnes détenues, Pierre Estlimbaum les appelle « les gars », ou encore « les résidents ».
Il évoque le travail de l’aumônier laïc protestant. « Le chant, écrit-il, est d’une importance fondamentale pour ouvrir les cœurs et s’unir dans une même adoration. » J’atteste en effet que, lorsque je me rends le samedi matin à la maison d’arrêt de Gradignan, la salle d’activités résonne des hymnes et des instruments du culte protestant.
Il insiste sur le concept de « pardon » et évoque la justice restaurative, mouvement dont les équipes de la maison centrale de Poissy ont été pionnières. En 2010 y ont eu lieu les premières rencontres détenus-victimes. Pierre Estlimbaum cite une phrase de Paul Ricoeur : « derrière la clameur de la victime se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit »
Ancien ingénieur, l’auteur adore les chiffres. Il les oppose à l’opinion publique, qui croit que les peines les plus cruelles sont dissuasives : depuis la suppression de la peine de mort en 1981, « les homicides n’ont cessé de diminuer. En 2014, on relève 660 homicides (hors tentatives) soit 10,3 par million d’habitants, en 1994 ce taux était de 24,4 par million ».
C’est aussi aux chiffres qu’il recourt pour expliquer les effets pervers de la prison. « La prison apparait aujourd’hui comme le moyen de punir :
- Le plus cher, soit 3 120€ /mois par détenu (2017)
- Le moins efficace, avec un taux de récidive plus important que toutes les peines alternatives. 61% des détenus en « sortie sèche » (sans aucun aménagement, ni suivi) sont recondamnés à de l’emprisonnement ferme dans les cinq ans. Ce taux est de 34% pour les TIG (travail d’intérêt général) et 38% pour les condamnés avec sursis et mise à l’épreuve)
- Qui désocialise le plus »
C’est encore avec des chiffres qu’il tente de mesurer l’impact de la prison sur le mal-logement : « Rappelons les flux en 2017 : 95 959 entrants en prison, pour 93 641 sortants ; Si on estime que 10% des détenus sont dépourvus de logement à leur entrée en prison, 20% perdent le leur durant l’incarcération, auxquels on ajoute ceux perdant leurs liens familiaux, on arrive au chiffre d’environ 40% de détenus sortant sans solution de logement soit plus de 37 000 personnes potentiellement SDF et candidats à la récidive. »
Le livre de Pierre Estlimbaum est décidément intéressant. Il mériterait d’être édité et promu par une maison d’édition. « Ayons des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue » écrit-il, en citant Oscar Wilde.