L’Observatoire International des Prisons vient de publier dans sa revue Dedans Dehors un passionnant dossier intitulé « Drogues et prison, décrocher du déni ».
Le déni agit sur la société française comme une drogue. On agit comme si la guerre contre la drogue, initiée dans notre pays par la loi du 31 décembre 1970 criminalisant l’usage illicite de substances vénéneuses pouvait être gagnée.
Or, les chiffres démontrent que la prohibition n’a pas fait reculer la consommation, la commercialisation et la production de drogues. En 2013, 200 000 personnes ont été interpellées pour infraction à la loi sur les stupéfiants, dont 165 000 pour usage illicite. Près de 15% des personnes incarcérées le sont à ce titre. Sarah Bosquet intitule un article : l’échec stupéfiant de la guerre à la drogue !
La prohibition repose sur un jugement moral, qui distingue les substances vénéneuses licites, comme l’alcool et le tabac, et d’autres illicites, comme le haschich ou la cocaïne. Certains pays ont dépassé cette approche moralisante, qui a pour effet de stigmatiser les utilisateurs et rend difficile une politique de réduction des risques (par exemple, par l’échange de seringues, les dépistages, les traitements de substitution aux opiacés, etc.). Ainsi le Portugal a-t-il décriminalisé en 2000 la consommation sur l’ensemble des substances et imposé un accompagnement médico-social des personnes développant une addiction.
La prohibition est par ailleurs source d’inégalités. Alors que la consommation de stupéfiants est d’un niveau sensiblement égal dans toutes les couches de la société, les utilisateurs dans les milieux favorisés consomment discrètement chez eux ; dans les couches populaires, c’est souvent dans la rue qu’on s’approvisionne et qu’on consomme. La police, poussée à « faire du chiffre », appréhendera volontiers des petits consommateurs / dealers pris en flagrant délit. Inquiéter un trader qui se gonfle à la cocaïne ou un grand trafiquant est plus compliqué.
En prison, toutes les substances circulent, y compris les médicaments détournés de leur usage prescrit pour servir de monnaie interne. La mise en œuvre d’une politique de réduction des risques se heurte à un obstacle psychologique majeur : « il est difficile pour l’administration pénitentiaire d’envisager que des pratiques illégales puissent se produire dans un lieu de contrôle des corps », dit la sociologue Marie Jauffret Roustide. C’est ainsi que l’échange de seringues se heurte à l’interdiction de posséder des seringues en cellule.
Plus encore qu’ailleurs, dans ce monde de rapports de force qu’est la prison, la drogue est facteur d’inégalité. Des caïds en contrôlent le business ; à l’autre extrémité, des toxicodépendants, prêts à tout pour se procurer leur dose, sont quasiment réduits en esclavage par d’autres détenus.
Il n’est pas sûr que la contraventionnalisation de l’usage de produits stupéfiants, annoncée par le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, soit à la hauteur de l’enjeu. Elle aurait certes pour effet de diminuer la surcharge qui pèse sur les tribunaux. Mais les amendes frapperaient, de nouveau, les couches les plus fragiles de la population, avec la menace de prison en cas de non-paiement. Et l’on resterait dans une approche moralisante, ignorant la diversité des usages qui peuvent aller du « récréatif » occasionnel à l’usage régulier pour accroître ses performances et à l’addiction. Au passage, on notera que seuls 10% des consommateurs de substances sont toxicodépendants.