Drogues : vingt ans de dépénalisation au Portugal

L’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) a publié en juin 2021 une étude intitulée Dépénalisation des drogues au Portugal, bilan 20 après.

Les autrices de ce document, Ivana Obradovic et Marguerite de saint-Vincent, font le point d’une loi votée par le Parlement portugais en 2000 qui dépénalisait l’usage et la détention de drogues pour un usage privé et organisait l’orientation des usagers vers des structures de prise en charge sanitaire.

Les années qui suivirent la Révolution des Œillets (1974) et la décolonisation  furent marquées par d’intenses bouleversements sociaux, dont une manifestation fut l’usage massif des stupéfiants, au premier rang desquelles l’héroïne. Le nombre de surdoses explosa, ainsi que les contaminations par le VIH en raison de l’échange de seringues. « La réponse du gouvernement, lit-on dans le document, a été, dans un premier temps, d’étendre et de renforcer la répression sur les consommateurs en leur infligeant de sévères peines de prison : à la fin des années 1990, les prisons portugaises comptaient pour moitié des détenus condamnés pour des Infractions à la Législation sur les Stupéfiants (ILS) ».

Révolution des Oeillets au Portugal

 

La loi de dépénalisation prit acte de l’échec de cette stratégie. Un comité d’experts recommanda « d’envisager le consommateur de drogues non plus comme un délinquant qu’il convient de punir, mais comme un patient nécessitant des soins : il appelait à envisager l’addiction comme un enjeu sanitaire et un problème social, et non comme une problématique de justice pénale. Les experts soulignaient la répression jugée « disproportionnée » des comportements des usagers qui, s’ils nuisent à leur propre santé, ne constituent pas directement une atteinte à autrui. Ils pointaient par ailleurs les effets délétères de la réponse pénale qui, selon eux, empêche les consommateurs de rechercher spontanément une aide médicale, par crainte d’une sanction et des conséquences d’une condamnation sur leur vie sociale et professionnelle »

La loi de 2000 avait deux volets : la requalification de la détention de drogue en infraction administrative (comme le fait de ne pas porter la ceinture de sécurité) ; le doublement des investissements publics « afin d’atteindre les objectifs fixés en termes de prévention, de réduction des risques, d’accès au traitement, de réinsertion sociale des consommateurs, ainsi que de lutte contre le trafic de stupéfiants ».

La loi dépénalisait ainsi la détention de drogues pour un usage personnel, le seuil étant fixé à dix jours de consommation, déterminé produit par produit. Au-delà de ce seuil, la détention continuait à relever du droit pénal. Lorsqu’ils sont interpellés, les détenteurs de drogue sont conduits au commissariat de police pour vérifier la quantité détenue. Au-delà du seuil fixé, ils risquent des poursuites pénales. En-deçà, ils sont convoqués devant une Commission de Dissuasion de la Toxicomanie (CDT), « dont le rôle consiste, à l’issue de 3 entretiens individuels, à évaluer le niveau de consommation des personnes appréhendées et à leur offrir une information personnalisée sur les risques sanitaires encourus, mais aussi à fixer les sanctions à appliquer »

Légalisation de la marijuana pour usage médical en Thaïlande

Même en-deçà du seuil admis, la détention de drogue reste une infraction. Celle-ci n’est pas sanctionnée si l’usage n’est pas problématique. Mais des sanctions peuvent être prononcées, depuis l’amende jusqu’à l’interdiction d’exercer une activité professionnelle, de voyager à l’étranger ou de fréquenter certains lieux ou certaines personnes, ou bien à la suppression du permis de conduire ou à l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général.

Vingt ans après, le bilan de la loi est positif. Les objectifs ont été atteints : la mortalité par surdose a considérablement baissé, passant de 34 par million d’habitants à 6 par million, ainsi que la diffusion du Sida. « Le taux de mortalité liée aux drogues du Portugal est aujourd’hui le plus faible de l’UE, quatre fois inférieur à la moyenne européenne. » Il faut toutefois remarquer qu’un palier a été atteint à partir de 2008, lorsque la crise financière a réduit les investissements dans les services de santé, qui faisaient partie intégrante du projet de la loi de 2000.

Certains souhaiteraient aller plus loin, et passer de la dépénalisation (qui considère la détention de stupéfiants comme une infraction) à la légalisation. Celle-ci a été pratiquée, pour le cannabis, par plusieurs pays, et tout récemment par la Thaïlande. Légaliser le cannabis revient à en permettre la production, la commercialisation et la consommation sous contrôle, comme c’est le cas de l’alcool. On peut limiter la mesure à un usage médical, ou l’étendre à un usage récréatif. Les avantages attendus consistent à limiter le trafic illégal et la violence qu’il impose, notamment dans les quartiers populaires ; à mieux contrôler la qualité des produits sur le marché ; à réduire la population carcérale ; à dégager pour l’État de nouvelles ressources fiscales qui peuvent être affectées au système de santé ou à des actions de prévention. Une autre étude de l’OFDT menée dans les États des États-Unis qui ont légalisé la marijuana tend toutefois à montrer que l’absence de sanction et la baisse des prix pousse à la hausse les volumes de consommation. Le débat reste donc ouvert.

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