Dubin’s lives

Dubin’s lives, roman publié en 1979 par Bernard Malamud (1914-1986) a été récemment publié en français sous le titre « les multiples vies de William D. » par les éditions Rivages, dans une traduction d’Olga Teodoroff. Les citations incluses dans cet article ont été traduites par l’auteur de « Transhumances ».

William Dubin, né de parents pauvres dans le quartier juif de Brooklyn, a maintenant 56 ans. Il a commencé sa vie professionnelle comme journaliste spécialisé dans les nécrologies. Il a alors découvert sa vocation. Il est devenu biographe, Il a notamment publié la vie de Henry David Thoreau (1817-1862) et celle de Mark Twain (1835-1910). Il s’attaque à celle de l’écrivain britannique D. H. Lawrence (1885-1930).

En tissant les vies d’autrui, il apprend comment recomposer les morceaux épars de sa propre pauvre vie. « La vie tout le monde est la mienne, dit-il. On écrit des vies qu’on ne peut pas vivre. Vivre pour toujours est une faim humaine. »

couverture de l’édition française

William s’est marié il y a 25 ans à Kitty, qui venait de perdre son mari et avait un jeune fils, Gerald. Ils vivent tous les deux dans une maison isolée dans la forêt, dans le Vermont. Le paysage est glacial en hiver, radieux au printemps. Le couple ne se considère pas malheureux, mais glisse peu à peu dans l’ennui. « Qu’est-ce que c’est qu’un chez-soi ? », demande Kitty. Deux personnes seules qui essaient de s’entendre. » (…) « Il y a quelque chose qui cloche dans la façon dont nous vivons. Nous ne tirons pas de joie l’un de l’autre. »

William a élevé Gerald comme son fils. Mais celui-ci ne sait pas quoi faire de sa vie et en veut à son beau-père. Dans sa relation avec lui, Dubin se sent « un homme essayant de terminer un puzzle avec une pièce qui ne s’emboîte jamais. » William et Kitty ont eu ensemble une fille, Maud. Celle-ci aussi n’a pas le mode d’emploi de sa vie. Elle se réfugie dans une communauté zen en Californie. Elle se revendique juive. « Les Juifs vivent dans le monde, lui dit son père. Ne te cache pas de la douleur, de l’insulte, de la peur de l’échec. N’attends pas une perpétuelle sérénité. »

William Dubin vit d’autres vies que la sienne en partageant celle des hommes dont il écrit la biographie. Mais un coup de tonnerre secoue sa vie de quinquagénaire. Une jeune femme de l’âge de sa fille, Fanny, fait irruption dans son quotidien. Elle a trouvé chez lui un emploi de femme de ménage. En réalité, ce n’est pas un emploi qu’elle recherchait, mais s’approcher de lui. Elle voulait apprendre de lui, si sérieux en tout, la façon de vivre sa propre vie.

Paysage du Vermont

La relation entre William et Fanny est immédiatement débordante de désir. Il est captivé par cette femme au corps abondant à la taille fine, sa démarche robuste, sa féminité, elle qui « semblait rayonner de nudité », « douée pour la féminité. » William sent un parfum d’inceste dans cette relation : « you don’t bed down a girl your daughter’s age » (on ne couche pas avec une fille de l’âge de sa propre fille). Mais il s’y engage d’autant plus volontiers qu’il se sent vieillir et que « le temps resserrait ses doigts de fer autour de sa gorge. » Il ne voulait pas mourir sans avoir vraiment vécu.

L’histoire de William et Fanny est traversée d’ambigüités, de non-dits, de ruptures et de réconciliations. William devient impuissant au lit avec Kitty et s’éloigne psychologiquement d’elle de manière irrémédiable. « Tu n’es pas avec moi, lui reproche-t-elle, « tu es ailleurs, où es-tu ? » Il traverse des périodes de dépression, de stérilité littéraire, et lorsque Fanny revient, avec son intensité, la certitude de son moi sexuel, sa vitalité, sa présence, sa vie prend feu de nouveau. « Il est de nouveau en affaires, façonnant, illuminant des vies ».

Dans « Dubin’s lives », Bernard Malamud se tient au plus près de la psychologie de ses personnages, qu’il suit parfois minute par minute avant de glisser, sans prévenir, sur plusieurs mois tout au long des deux années couvertes par le roman. C’est un écrit magnifique sur le destin, la passion amoureuse, la dépression, le vieillissement et le désir de vivre malgré tout.

Bernard Malamud

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