J’ai participé récemment à une formation de deux jours à l’écoute, organisée par l’Association Nationale des Visiteurs de Prison (ANVP).
Animée par Isabelle Ferrari, une psychologue qui s’efforce de rendre plus efficace la relation d’aide fournie par des professionnels ou des bénévoles à des personnes en grande difficulté, cette formation rassemblait une douzaine de visiteurs exerçant dans plusieurs maisons d’arrêt et centres de détention en France. Les échanges entre participants et les jeux de rôle illustrant les références théoriques fournies par la formatrice furent particulièrement riches.
Visiter un prisonnier n’est pas une affaire banale. Les conditions matérielles sont difficiles : la rencontre se déroule souvent dans un local exigu, bruyant, exposé aux regards, sentant le renfermé. La relation est asymétrique : l’entretien achevé, le visiteur sortira de la prison, alors que le détenu peut espérer, un jour, sortir de prison. Le contexte est emprunt de situations extrêmes : détresse, indigence, violence, maladies physiques et psychiques, misère sexuelle.
Le prisonnier vit dans un espace–temps déconnecté du monde réel. Certes, la télévision lui apporte des nouvelles de l’extérieur, mais celles-ci glissent sans pénétrer. Il vit dans un monde où il est totalement pris en charge, sans responsabilité sur les actes les plus simples de son quotidien. Le prévenu vit au rythme de l’instruction de son affaire et de l’attente du procès, avec des périodes de vide total et d’autres d’angoisse frénétique. Le condamné entre dans une longue phase de vie sans couleurs. Il arrive qu’il fasse en quelques mois ou quelques années un travail sur son passé criminel et sur sa propre personnalité qui le rendrait apte à réintégrer la société, et le temps qui passe entre les murs devient dénué de sens.
La relation d’aide ne peut se situer que dans l’ici et maintenant : il faut parler avec le détenu de ce qu’il vit et ressent en ce moment précis. Il est rarement possible de parler de projets, car il y a trop d’incertitude. La relation elle-même peut s’interrompre sans préavis à la suite du transfert dans une autre prison.
La personne détenue peut être rongée par la culpabilité, ou au contraire s’envelopper de déni comme d’une gaine de protection. Elle peut passer très vite du bavardage vantard au mutisme et à la dépression. Elle peut se faire mythomane, s’inventant une histoire personnelle héroïque. Elle peut tenter de provoquer le visiteur, par exemple en étant constamment négative pour tester la limite de son empathie. Elle peut chercher à le manipuler, en suscitant sa compassion pour obtenir des objets ou des services.
Le visiteur lui-même doit prendre garde à de pas émettre de jugement. Les actes commis par les prisonniers sont parfois si atroces qu’ils suscitent le dégoût. Mais la relation d’aide ne peut fonctionner que si l’aidant laisse la Justice juger et ne voit dans le détenu visité qu’une personne humaine dans sa souffrance. Le visiteur doit aussi éviter la condescendance : lorsqu’une relation de sympathie s’établit, il est facile d’échafauder des projets pour le détenu : « il faut que… », « vous devriez… ». Ouvrir des fenêtres et des opportunités, proposer des actions est bénéfique. Edicter une norme ou un plan d’action auquel le détenu devrait se conformer sous peine de nous déplaire ne serait pas dans la dynamique d’une relation d’aide.
Les conditions extrêmes de la détention, les difficultés aigües des détenus et la tentation des visiteurs d’outrepasser leur rôle rendent difficile l’écoute en milieu carcéral. L’association des visiteurs de prison joue un rôle essentiel en brisant la solitude des visiteurs, en créant entre eux un espace de parole et en en fournissant des outils pour améliorer leur pratique.