Le théologien Edward Schillebeeckx, dominicain, est mort le 23 décembre dernier à l’âge de 95 ans. Il faisait partie de l’aile progressiste de l’Eglise Catholique entravée par le Vatican.
Un soir de Noël dans les années 1980, des manifestants s’étaient postés, à la grande joie des touristes et photographes amateurs japonais, sur les marches du parvis de la Cathédrale Notre Dame de Paris. Ils portaient des pancartes indiquant le nom d’un théologien poursuivi par la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Ils étaient bâillonnés et ligotés, « enlacés » dit joliment une amie luxembourgeoise. L’un des « théologiens enlacés » était Edward Schillebeeckx, aux côtés du plus connu Hans Küng.
La Revue des Réseaux du Parvis (http://www.reseaux-parvis.fr/) publie dans son numéro de mars un article de son frère dominicain Bernard Quelquejeu : « Edward Schillebeeckx, théologien du peuple de Dieu, un incessant combat pour la liberté chrétienne ». « La force est aux sources, et je veux y aller voir, a fièrement écrit le P. Lacordaire. Edward Schillebeeckx a vite compris qu’une théologie renouvelée au service des communautés chrétiennes exige un accès libre, critique et intelligent aux sources de la foi. Il prend part aux recherches concernant l’herméneutique : une interprétation des textes de la Bible ne peut être dite « Parole de Dieu » que si elle touche, elle éclaire au plus près la profondeur de l’existence des croyants aujourd’hui. Dès ce moment, commencent ses ennuis avec Rome, peu soucieux de liberté herméneutique. »
Bernard Quelquejeu rappelle la contribution de Schillebeeckx au Concile Vatican II, la fondation de la revue Concilium, la publication d’une Christologie en trois tomes. Il raconte aussi le conflit grandissant avec le Vatican, à partir d’un article intitulé « Le Ministère dans l’Eglise » traduit en français en 1981. « Armé d’un réalisme courageux sur la situation qu’il constate pour les communautés chrétiennes, il préconise des décisions qui sont à la mesure de la crise : ordinations des hommes mariés, fin des discriminations catholiques vis-à-vis des femmes, ministères nouveaux confiés aux fidèles etc. »
La fidélité d’Edward Schillebeeckx et de tant d’autres de sa génération à l’égard d’une organisation cléricale qui les a si mal traités a quelque chose d’étonnant. Pourquoi cet homme affamé de liberté n’a-t-il pas quitté l’Eglise Catholique Romaine ? Attachement à une famille spirituelle dans laquelle il avait grandi, mûri et vieilli ? Répulsion à l’idée d’un schisme qui aggraverait la désunion des chrétiens ? Conviction que le temps de la liberté conciliaire reviendrait inéluctablement un jour ? Il reste qu’il n’a pu que se poser vers la fin de sa vie une angoissante question : ceux pour qui les Béatitudes signifient aujourd’hui démocratie, liberté, droits de l’homme et de la femme, qu’ont-ils en commun avec les conservateurs crispés qui, depuis trente ans, sont parvenus à écarter toute voix dissonante des structures de pouvoir au Vatican et dans les Conférences Episcopales ?
(Photo The Guardian, Edward Schillebeeckx au Vatican en 1979 : « sa théologie influente mais discrète enflamma le Vatican », nécrologie publiée le 24 février 2010, http://www.guardian.co.uk/world/2010/feb/24/edward-schillebeeckx-obituary).