Si le réalisateur Giuseppe Tornatore appelle Ennio Morricone (1928-2020) par son prénom dans le titre du film qu’il lui a consacré, c’est que, comme plusieurs réalisateurs, il avait noué avec le compositeur une véritable amitié.
Pendant cinq ans, Tornatore a rencontré Morricone chez lui, rassemblé des images d’archive et des extraits de films dont il avait réalisé la bande sonore et parcouru le monde pour interviewer quelque 70 personnalités de la musique et du cinéma.
Le père d’Ennio Morricone était trompettiste et gagnait péniblement sa vie. Il imposa à son fils de suivre le même chemin. Adolescent, Ennio jouait la nuit dans des bars et fréquentait le conservatoire – solfège puis composition – pendant la journée. Devenu célèbre pour ses musiques de film, il refusa l’utilisation de la trompette jusqu’au décès de son père : celui-ci n’avait pas le niveau requis mais il n’était pas question de faire travailler un autre que lui.
Ennio Morricone a réalisé la bande sonore d’environ 500 films. Il décrit son processus créatif. Dans « Le bon, la brute et le truand », il part du cri du coyote ; dans « Pereira prétend », du claquement rythmé des mains de manifestants sur des boîtes de conserve dans une rue de Rome. Le thème principal est souvent simple, un enchaînement de quelques notes rythmées, avec un jeu de points et contre-points. Il accorde une grande importance à la qualité de l’instrumentation : guitares, cordes, hautbois…
La composition de la bande sonore intervient parfois au montage des images. Il arrive aussi qu’elle précède le tournage. Dans « il était une fois en Amérique », de Sergio Leone, la musique de Morricone a été diffusée sur le plateau où jouait Robert de Niro.
J’ai été étonné par l’enthousiasme soulevé par Morricone sur des chanteurs américains, comme Bruce Springsteen ou Joan Baez. Celle-ci écrivit les paroles de la ballade de Sacco et Vanzetti, sur la musique qu’il avait composée pour le film.
La musique de film a longtemps été considérée comme un art mineur, comparée à la beauté abstraite d’une symphonie. Ennio Morricone a souffert de ce mépris, d’autant plus qu’il était activement impliqué dans des recherches de musique expérimentale et qu’il composait lui-même de la musique symphonique. J’ai évoqué dans une autre chronique une œuvre qu’il avait composée en hommage aux migrants disparus en mer : « la voce dei sommersi », la voix des engloutis.
Le documentaire de Giuseppe Tornatore dure 2h36mn mais on ne s’y ennuie à aucun moment. Il inclut des extraits de films qui font vibrer le spectateur d’aujourd’hui comme d’hier par leur intensité dramatique, par la présence presque obsessionnelle de la mort. Il constitue un mausolée à la gloire d’un génie qui restera l’un des grands compositeurs du vingtième siècle.