Le Groupement de Concertation de Bordeaux a récemment organisé, dans le cadre des journées nationales prison, une intéressante conférence animée par Thierry Landais, membre de l’équipe de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan.
La conférence avait pour thème le respect des droits fondamentaux dans l’enceinte de la prison. Les établissements pénitentiaires ne sont qu’une des catégories de « lieux de privation de liberté » où s’exerce le contrôle : les lieux de garde à vue, les hôpitaux psychiatriques ou même les fourgons cellulaires en font également partie.
La fonction de Contrôleur général de lieux de privation de liberté est récente. Elle a été créée par la loi du 30 octobre 2007. Elle a pour but de garantir aux personnes placées dans ces lieux le respect de leur droit à la dignité. Cette autorité est indépendante de tous les pouvoirs. Elle mène des inspections dans les prisons, les commissariats de police, les centres de rétention administrative etc. Elle peut être aussi saisie de cas individuels, par les détenus eux-mêmes, par leurs familles ou par des associations.
La Contrôleure n’a pas de pouvoir de contrainte. Elle ne peut que faire des recommandations et communiquer aux médias ces recommandations. Toutefois, un délit d’entrave a été créé à l’encontre des personnes qui s’opposeraient à ses investigations.
Les avancées du droit
Le droit français va dans le sens d’un plus grand respect des droits fondamentaux de la dignité humaine en détention. La loi instituant le contrôle général fait suite à la ratification, par la France, de la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants adoptée par les Nations Unies le 18 décembre 2002.
L’évolution de la jurisprudence administrative va dans le même sens. La prison était traditionnellement une zone de non-droit. Les décisions prises par l’administration pénitentiaire à l’encontre d’un détenu étaient considérées comme des « mesures d’ordre intérieur », c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs. Une série de décisions du Conseil d’État ont peu à peu élargi le champ des mesures qu’un détenu peut contester devant un juge. C’est le cas par exemple des fouilles au corps, du placement à l’isolement, de l’organisation des visites au détenu ou encore des sanctions disciplinaires dont il peut être l’objet.
Les prisonniers se voient donc reconnaître le droit à la dignité. Ils peuvent contester en justice des décisions qui leur paraissent violer ce droit. Ils peuvent porter à la connaissance du Contrôle général des lieux de privation de liberté des faits qui y portent atteinte. L’état de droit a-t-il enfin franchi les portes de la prison ?
Les textes sont-ils effectifs ?
En réalité, il y a un écart, disons même un gouffre, entre les textes et leur application. Le Contrôle général des lieux de privation de liberté met même au cœur de son action « l’effectivité » des textes, c’est-à-dire leur effective application.
L’encellulement individuel, prévu par la loi, n’est pas appliqué en maison d’arrêt. La brièveté du temps disponible pour les mouvements (3 heures le matin et 3 heures l’après-midi) met en concurrence le travail (disponible seulement pour 1 quart des détenus), la formation, le parloir, les visites médicales, les promenades… Bien que limitée par la loi pénitentiaire de 2012 pour son caractère humiliant, la fouille au corps intégrale reste un standard en prison. L’insécurité rôde partout, des cours de promenade aux salles de douche. Les détenus étrangers peinent à se faire entendre dans leur langue. Lorsqu’on formule une demande – obtenir du travail, téléphoner à sa famille – les délais de réponse sont imprévisibles et les critères opaques.
Les juristes ont parfois l’illusion d’un développement endogène de l’état de droit, sous l’effet de la main invisible et bienveillante de la jurisprudence. L’intelligence collective de milliers de magistrats et d’avocats est supposée avoir pour effet une amélioration constante de la protection de la dignité des personnes, même de celles qui ont été condamnées et incarcérées.
En réalité, il ne suffit pas de voter des lois et de publier des décrets pour protéger vraiment la dignité des personnes. C’est indispensable. Mais c’est au jour le jour, derrière les barreaux, que se déploie, ou non, l’état de droit.