Favoriser les parcours de sortie de la délinquance

Dans la collection Déviance et Société, les Éditions Médecine & Hygiène ont récemment publié un article de Valerian Benazeth qui passe en revue tous les livres publiés sur le thème de la « désistance ».

On entend par désistance les processus qui permettent de s’éloigner de la délinquance. Comprendre ces processus constitue un enjeu fort pour les professionnels dont le mot d’ordre est « lutter contre la récidive », à commencer par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. C’est important aussi pour les bénévoles qui agissent en relation avec les SPIP, en prison et en milieu ouvert.

Il convient d’abord de s’interroger sur les processus qui amènent une personne à la délinquance. C’est à l’adolescence que commencent en général des carrières délinquantes. « Il s’agit, écrit Valerian Benazeth, d’une période juvénile qui s’étire en longueur. Ils renâclent à s’insérer dans une vie qui ne les satisfait pas. Ils ne risquent pas encore la clochardisation car ils logent au domicile parental. Ils n’ont pas encore la responsabilité de nourrir un foyer, de veiller à l’éducation de leurs enfants ou de respecter les cadres horaires d’un travail. Ils déjouent ainsi une forme de déterminisme social : assumer une position modeste dans le secteur industriel ou des emplois de service peu qualifiés comme leurs parents. Ce temps d’une jeunesse prolongée forme comme un sas de résistance avant l’entrée dans l’âge adulte. »

L’adolescent se place sous une bannière, mot auquel étymologiquement se rattache celui de « bande ». Sous la protection d’un groupe d’expérimentateurs, il commet des infractions pour se tester. Il acquiert du prestige auprès de ses pairs en défiant les règles de la société conventionnelle. Mais cette trajectoire dans la délinquance a tendance à s’estomper après trente ans. La question est alors comment faciliter cet effacement ?

L’approche utilitariste insiste sur la sanction. Elle met l’accent sur le calcul rationnel coût/avantage des pratiques délinquantes. Tant que les bénéfices retirés des activités délinquantes excèdent les coûts à assumer pour les commettre, les contrevenants maintiennent leurs habitudes. « Seule la perspective très probable de se faire arrêter, d’aller en prison, de payer une amende et de subir l’opprobre d’une condamnation si elle dépasse la probabilité de bénéficier des avantages du délit, serait dissuasive. Il suffirait ainsi de laisser le temps faire et les embuches judiciaires se multiplier pour que le contrevenant finisse par s’arrêter. »

Le problème est que cela ne marche que si le contrevenant dispose d’une alternative, d’une perspective crédible et enviable de mener une vie saine. C’est sur les conditions d’existence de cette alternative que travaillent les théoriciens de la désistance. Au lieu de se focaliser seulement sur les risques de récidive, pourquoi ne pas privilégier les besoins de la personne (y compris dans leur aspect matériel, un travail, un logement) et sa disponibilité à la perspective de changer de vie, sa réceptivité. La méthodologie des services d’insertion et de probation en France s’appuie sur le modèle Risques Besoins Réceptivité.

L’objectif est de créer les conditions pour que l’ex-délinquant devienne acteur du réagencement de sa propre vie. « Le désistant va entamer un processus de réécriture de son passé afin de le reconnecter à son identité présente et de le rendre cohérent avec ce nouveau virage biographique. (…) Il va concevoir son passé délinquant sous un nouveau jour. Il le regarde désormais comme un stock d’expériences dans lequel puiser pour entreprendre un parcours en dehors de la délinquance. »

Dans la relation avec les professionnels de la probation, le mot-clé est « confiance ».  Il y a une sorte de symétrie avec l’entrée en délinquance du temps de l’adolescence : faire partie d’une bande générait une confiance en soi, permettait d’avancer la tête haute dans la société en la défiant. Dans le parcours de sortie de la délinquance, « lorsque le soutien et les échanges avec le conseiller permettent au probationnaire de développer sa confiance en lui et d’accumuler du capital culturel, des savoir-faire et des savoir-être, ils contribuent à augmenter sa capacité d’agir. » Une relation de confiance avec les autres permet de retrouver une marge de manœuvre sur soi-même. « La confiance gagnée fait levier et dote le désistant d’une croyance accrue dans sa capacité à changer son environnement, ses habitudes et ses représentations. »

Je me permets ici une réflexion absente de l’article de Valerian Benazeth. C’est à ce point que l’accompagnement en milieu ouvert par des bénévoles peut apporter une contribution inestimable à la désistance. Par sa position dans l’institution pénitentiaire, le conseiller de probation est attentif au risque et à la dangerosité de l’ex-délinquant. La focalisation sur le risque peut donner à celui-ci le sentiment que ses besoins ne sont pas vraiment pris en compte. En revanche, le bénévole est tout entier centré sur l’accompagnement vers un avenir différent.

Les approches sont complémentaires. Le conseiller de probation travaille dans le cadre d’un mandat de justice et est redevable vis-à-vis de la société. L’action de l’accompagnant bénévole n’a de sens qu’articulée avec celle du conseiller.

Une réflexion sur « Favoriser les parcours de sortie de la délinquance »

  1. Très intéressant. Merci. Il me semble d’ailleurs aussi pour avoir essayé de lexperimenter que la conduite délinquante s’exerce grâce au rôle du mensonge, voire d’une duplicité très fréquente à l’égard de l’autre qui crée des sortes de vies parallèles et fragiles car reposant donc sur l’art de la ruse. Effectivement de ce point de vue là aussi il s’agit certainement d’arriver à donner confiance au sujet et qu’il y voit son bénéfice d' » être honnête  » et de jouer franc jeu et cesser le double jeu du vice du mensonge devenu un réflexe une seconde nature. C’est aussi d’ailleurs l’importance de redonner une valeur véritable daccroche à l’autre, du langage et des mots. Souvent pour un délinquant habitué à mentir, le langage n’est plus qu’une élucubration insincere. Renouer avec un langage sincère et en voir les avantages recueillis peut faire partie de ce travail d’accès à la confiance…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *