Flaubert

Nous célébrons cette année le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert. J’ai lu à cette occasion sa biographie publiée par Michel Winock en 2013.

 L’homme Flaubert ne m’est pas sympathique. Son pessimisme sur la condition humaine, son dégoût de la vie, son permanent sentiment d’ennui, son allergie à la loi du nombre et au suffrage universel, son refus de construire une vie de famille me prennent à rebrousse-poil.

 C’est en cela que la biographie de Michel Winock est passionnante. Elle oblige à quitter les préjugés et les certitudes faciles. Elle situe l’homme et son œuvre dans leur contexte historique.

 Gustave Flaubert est fils d’un chirurgien rouennais, qui dispose d’un logement de fonction dans l’Hôtel-Dieu. Enfant, le futur écrivain est, par force, témoin de l’agonie et de la mort de patients de son père. Il grandit parmi une génération désenchantée. Il a entamé sa vie et vécu sa jeunesse, dit Winock, « dans un trou d’air historique » : aux enthousiasmes et aux drames de la Révolution et de l’Empire succède la Restauration, puis, avec la Monarchie de Juillet, le triomphe de l’argent. Winock décrit le jeune Flaubert comme « un adolescent dont les noirceurs sont plus fortes que les rêves ».

Le roi Louis-Philippe

Flaubert éprouve du dégoût pour la société de son temps, et donc pour la vie en société. Il s’en tient à distance. Il s’en veut un observateur attentif, avec une méthode et une précision qui, avant lui, étaient l’apanage des sciences physiques. Avant Flaubert, dit Winock, « le roman avait pour but d’instruire, d’expliquer, de démontrer ; le roman à la Flaubert expose, décrit, et laisse le lecteur juge. » Comme le chimiste devant son microscope, l’écrivain ne doit pas intervenir. « L’impersonnalité » est une règle absolue. Elle est indissociable de la recherche du beau. Flaubert écrit six phrases pour en retenir une bonne, une qu’il pourra lire à haute voix et juger musicalement harmonieuse.

 Deux qualités viennent en appui de cette démarche. La curiosité : Flaubert est avide d’impressions et d’images nouvelles. Le voyage de plusieurs mois que, jeune adulte, il fit en Orient, marqua durablement son œuvre. Autre qualité, le travail : « l’inspiration, ça consiste à se mettre tous les jours devant sa table à la même heure », écrit-il. Et Winock note que les plans et brouillons de Madame Bovary à eux seuls comptent quatre mille pages.

 Comme Ernest Renan, Flaubert est partisan d’un gouvernement de ceux qui savent, d’une aristocratie de la connaissance. Partisan de l’ordre, il approuve le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte et l’instauration du second Empire. Mais dans les années qui suivent l’invasion prussienne et la Commune, la menace de l’instauration d’un « ordre moral » par les monarchistes, lui fait préférer la République, malgré le suffrage universel (masculin) qu’il assimile à une dictature du nombre et de la plèbe. J’ai appris dans le livre de Winock que les obsèques d’Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe puis bourreau de la Commune, avaient été suivies par des centaines de milliers de personnes, dont Victor Hugo, aux cris de « Vive la République ».

Les funérailles d’Adolphe Thiers, 1877

 Comme beaucoup de ses contemporains, Flaubert tenait des discours abondamment machistes. Il n’a jamais voulu se marier et redoutait que des enfants naissent de ses relations féminines. Il considérait que l’amour était un « assaisonnement de l’existence », mais qu’il ne devait en aucun cas prendre le pas sur la mission de l’artiste. Il a pourtant été intensément amoureux. Extraits de sa correspondance : « Oui ma belle, tu m’as enveloppé de ton charme, tu m’as pénétré de ta substance. » Et encore : « ton amour, à la fin, me pénètre comme une pluie tiède, et je m’en sens imbibé jusqu’au fond de tout mon cœur. »

 Enfin, Michel Winock nous fait admirer en Flaubert un ami fidèle. J’aime la métaphore qu’il file pour nous le faire sentir : « Il tisonne sans cesse les braises de l’amitié qui risqueraient de s’éteindre. »

Michel Winock

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