Avec « Sur la vie de mon père… Biographie reconstituée » (Michel Lafon 2015), le comédien Gérard Darmon offre au lecteur un livre bien écrit et émouvant.
L’auteur évoque la mémoire de son père, Henri Messaoud Darmon, décédé il y a vingt ans. « Je me retourne, il n’est plus là. Je le cherche, il a disparu. Il a laissé peu de traces, peu de confidences, peu de photos. Il a eu une empreinte légère. »
Le livre est construit en deux parties. Dans « l’absence », il évoque par touches un père rendu définitivement absent par la mort, mais qui le fut aussi de son vivant pour sa femme Viviane et leur fils unique Gérard. Dans « sur la piste de Trompe-la-mort », il tente, à la manière d’un détective, de retracer les étapes de la vie d’Henri, enfant des rues à Oran, engagé dans les Spahis, fréquentant le milieu du quartier Montparnasse à Paris, chauffeur d’un officier allemand résistant clandestinement au régime nazi puis engagé dans les FFI, puis vendeur de vin en gros jusqu’à sa retraite.
Gérard Darmon, né un 29 février, date improbable, est le fils d’un couple improbable. Après avoir manqué de peu d’être déporté pendant la seconde guerre mondiale, Henri veut fonder une famille ; on prescrit à Viviane, rendue dépressive par la mort de sa mère, le mariage comme remède. « Quel mariage étrange ! Ils n’avaient ni la même culture, ni la même éducation, ni les mêmes centres d’intérêt, ni les mêmes aspirations. Ils ne partageaient que le Sud, le goût du couscous et leur enfant. »
Viviane « avait épousé Henri Darmon par dépit et par défaut. L’amour n’était pas compris dans le bagage (…) Ce mariage-là a été un duel dans l’obscurité, un duel feutré et complice. » Les trajectoires des deux époux ne se sont rencontrées que lors de leur mariage. C’est l’histoire d’une tangence, dit Gérard.
Gérard Darmon dit son admiration pour son père, homme à femmes et connu dans le milieu de la délinquance, mais toujours loyal : « Contradictoire, mon père l’était. Mais quand il vous serrait la main en vous regardant droit dans les yeux pour vous dire « : « je le ferai », il s’engageait (…) Il ne disait pas « je le ferai » en pensant « va te faire foutre ». »
Il dit d’Henri : « Nous partagions le même appétit du monde, le même besoin de réussir sa vie. Il partait de plus loin, de plus bas. Il avait dû se battre avec des armes nues : son intransigeance, sa séduction, sa finesse. »
Ce désir de vivre le rendit prudent, ce qui lui permit de ne jamais être fiché par la police lorsqu’il était connu par les truands comme « trompe-la-mort » ou « Riquet-de-la-Bastille », et encore d’échapper aux rafles de Vichy. C’est aussi ce qui le rend distant, presque insaisissable. Et c’est ce qui fait du livre de son fils Gérard un témoignage fin comme le sable filant au creux de la main.