Dans Gloria Mundi, son dernier film, Robert Guédiguian fait pénétrer le spectateur dans le monde des gens rongés par la précarité.
La première séquence du film est glorieuse : à Marseille, Mathilda (Anaïs Demoustier) donne naissance à une petite Gloria. Toute la famille se réjouit : son mari Nicolas (Robinson Stévenin), sa maman Sylvie (Ariane Ascaride), son beau-père Richard (Daniel Darroussin), et aussi sa demi-sœur Aurore (Lola Naymark) et son mari Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet).
Richard souffle à Sylvie l’idée de prévenir Daniel (Richard Meylan), le père biologique de Mathilda, de la naissance de Gloria. Il se trouve que Daniel est sur le point d’être libéré du centre de détention de Rennes, où il a purgé une longue peine. Sans attache, il vient s’établir à Marseille, à proximité de chez Sylvie et Richard.
Richard est chauffeur de bus. Sylvie est femme de ménage dans des ferries à quai. Ils tirent le diable par la queue, et lorsqu’une grève se déclare sur les ferries, Sylvie refuse d’y participer : elle ne peut se passer de la paye de quelques jours.
Mathilda a un emploi précaire de vendeuse dans un boutique d’habillement. Nicolas est chauffeur Uber, mais lorsqu’une agression le rend inapte à la conduite, il ne peut plus gagner sa vie.
Bruno et Aurore, quant à eux, ont « réussi ». Ils ont ouvert une boutique qui rachète aux pauvres des biens usagers à un prix dérisoire, les font retaper dans un atelier clandestin et les revendent avec une marge confortable. Ils vont ouvrir une seconde boutique. L’idéal serait que Mathilda en prenne la direction.
La violence verbale de Bruno, qui se réclame des « premiers de cordée » et crache son mépris aux « minables », l’égoïsme du couple qui ne conçoit pas l’idée même du partage, les histoires d’adultère au sein de la famille et la violence potentielle de Nicolas forment un cocktail explosif qui menace de ruiner des vies, comme a été ruinée la vie de Daniel il y a vingt ans, ici même à Marseille.
« Tout ce qu’un siècle de luttes ouvrières avait réussi à faire entrer dans la conscience des hommes, écrit Robert Guédiguian, en un mot, la société du partage, a volé en éclats en quelques années pour rétablir ce fléau mortel qu’est la volonté de chacun de posséder ce que les autres possèdent. » Sylvie elle-même, corps et âme dévouée à son mari et à ses enfants, est si acculée qu’elle ne peut faire grève. Il reste, dans ce paysage désolé, Richard, qui fait une place à Daniel, le premier amour de sa femme. Et Daniel, que la prison a rendu solitaire, fataliste et poète : il écrit des haïkus, ces poèmes inspirés du Japon, composés de trois vers, de 5, 7 et 5 syllabes. Daniel, devenu le « nounou » de la petite Gloria, décidément précipitée dans un monde cruel.