Gorbatchev en aparté

Arte TV a récemment diffusé « Gorbatchev en aparté », film documentaire de Vitaly Mansky à partir d’entretiens réalisés avec le dernier leader soviétique autour du Nouvel An 2020.

On peine à reconnaître le fringant dirigeant qui, en 1985, succéda, à la tête de son pays, à une suite de gérontes. Le visage est bouffi par le diabète, tout son corps est endolori, chaque mouvement est arraché à la pesanteur, chaque mot arraché au silence.

Mikhaïl Sergueïevitch vit dans une grande datcha prêtée par l’État russe, entourée d’une double ou triple clôture. Il en sort pour des séjours à l’hôpital, pour se rendre à sa Fondation, ou bien pour rendre visite à des amis. Il dispose d’une demi-douzaine de personnes à son service, dont il affirme qu’il les rémunère grâce aux sommes gagnées lorsqu’il donnait des conférences de par le monde.

Gorbatchev et Regan

La maison est sombre, le mobilier vieillot, les espaces vides. C’est lugubre. La solitude, le désespoir d’une vie vide de sens sont palpables.  Une télévision est allumée en permanence. Lorsque Poutine présente ses vœux pour la nouvelle année, Gorbatchev perd opportunément son appareil acoustique. Dans de nombreux plans, il tourne le dos à l’écran, et la caméra focalise successivement sur lui dans son fauteuil et sur Poutine à l’image.

Mikhaïl Gorbatchev semble emprisonné à vie dans une contradiction. Il est nostalgique de l’Union des républiques soviétiques, admiratif de Lénine. Il reste convaincu que la restructuration (Perestroïka) et la transparence (Glasnost) auraient dû permettre au système soviétique de sortir de l’enlisement, et que des « imbéciles » alcoolisés (Eltsine et le siens) ont tout gâché.

Il est aussi prisonnier d’un dilemme d’image. Pour beaucoup d’occidentaux, y compris Mansky qui vit en Lettonie, il est un héros qui a apporté aux peuples d’Europe centrale la liberté ; mais il ne recueille que 0,8% d’opinions favorables auprès de ses concitoyens, qui voient souvent en lui un traître à la patrie et dans l’adulation des occidentaux la preuve de cette trahison.

Gorbatchev considère le film de Mansky comme une opportunité à ne pas manquer, une sorte de testament. Mais sa pensée politique apparaît comme singulièrement pauvre : pas un mot sur la situation géopolitique de la Russie dans le monde, sur la montée en puissance de la Chine, sur le changement climatique. Il s’en tient à une référence quasi-religieuse au socialisme léniniste qui, à un horizon lointain non précisé, donnerait une grille de lecture permettant de changer le monde.

Peut-être d’ailleurs n’était-ce pas un message politique que Gorbatchev souhaitait délivrer dans ce testament, mais simplement le témoignage d’un homme qui ose regarder la mort en face. On est ému par la manière dont il parle de Raïssa, la femme de sa vie, décédée d’un cancer vingt ans plus tôt. On découvre un homme pénétré de poésie, heureux de chanter une chanson que lui avait transmise sa mère ukrainienne :

Sous la montagne majestueuse s’étend une forêt

Verdoyante et plantureuse, un paradis, un vrai !

Sous la forêt coule une rivière qui brille comme le cristal.

Elle fuit, ventre à terre, au creux du val.

Près de la rive, au calme, des barques sont amarrées.

Trois saules à l’air maussade sur elles sont penchés,

Tristes à l’idée de perdre leurs feuilles

Passé l’été et de devoir faire leur deuil.

Rassure-toi, douce rivière, le printemps reviendra

Mais ma jeunesse envolée, elle, ne reviendra pas.

 

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