Grèce : la crise de confiance

« Vaut-il mieux une fin terrifiante ou un effroi sans fin ? » se demandait récemment le journal Le Monde à propos de la crise grecque.

 Lorsqu’éclata en 2012 la crise de la dette souveraine grecque, j’étais convaincu que la Grèce resterait dans la zone euro. La principale raison en était que l’Allemagne avait besoin de pays faibles dans la zone monétaire pour éviter que le cours €/$ ne s’envole. Trois ans plus tard, je crains que la rupture soit irréversible.

 

Queue à un distributeur de billets en Grèce
Queue à un distributeur de billets en Grèce

La raison en est l’absence de confiance entre le gouvernement Tsipras et les créanciers de la Grèce. Or, l’expression « faire crédit » a une double acception : elle signifie prêter de l’argent, mais aussi croire en la volonté et la capacité du débiteur de rembourser. La convocation d’un referendum par le gouvernement grec jette un doute sérieux à cet égard. C’est un aveu de faiblesse de la part de dirigeants qui reconnaissent n’avoir pas su négocier suivant la ligne anti-austérité sur laquelle ils avaient été élus. C’est aussi une bizarrerie intellectuelle : habituellement on demande au peuple de se prononcer en faveur de quelque chose, mais les dirigeants grecs le pressent de voter contre.

 Faute de crédit, le gouvernement grec ne pourrait plus payer en euros ses fonctionnaires et les dépenses de fonctionnement. Il devrait probablement émettre une monnaie interne (la nouvelle drachme) qui circulerait parallèlement à l’euro. Il ferait adopter une loi obligeant les citoyens à accepter cette monnaie interne, mais une telle loi sera nécessairement contestée et ne serait probablement pas opposable aux non-nationaux. La confusion s’installerait durablement.

 À ce stade, il semble nécessaire de rappeler certaines réalités.

 La première est que l’austérité est inévitable. En France, la dette représente une année de produit national, en Grèce plus de dix-huit mois. Nous ne pouvons imposer cela aux générations futures. S’ajoute à la dette financière notre dette à l’égard de l’environnement : il faudra apprendre à payer le coût réel des émissions de gaz, de traitement des déchets, de recyclage de l’eau, de l’extraction et du transport des matières premières. On ne peut plus vivre à crédit financier ni à crédit écologique.

 La seconde réalité est qu’il faut payer ses dettes. Penser que « l’Allemagne paiera » au titre de réparations est illusoire. Croire qu’on n’est pas lié par des dettes contractées par des gouvernements ou un système économique au prétexte qu’on les estime illégitimes n’est pas soutenable : qui, dans sa vie, n’a jamais emprunté une route, reçu un remboursement de sécurité sociale ou retiré de l’argent à un distributeur ? Tous, nous recevons de la collectivité ; tous, nous sommes solidaires de ses dettes.

 La troisième réalité est que le chaos accroît les inégalités : les plus fortunés ont pu placer de l’argent à l’étranger en monnaie forte ; les plus pauvres prennent de plein fouet le choc de l’inflation. Les apôtres de l’anti-austérité créent pour demain les conditions d’une misère accrue pour ceux qui souffrent déjà aujourd’hui.

 Est-ce à dire qu’il n’existe aucune marge de manœuvre pour les dirigeants ? Ce n’est pas le cas. Ils peuvent répartir davantage le fardeau sur les plus riches, en prenant garde de ne pas décourager les entrepreneurs. Ils peuvent convaincre leurs créanciers d’abandonner une partie de la dette, si cet allègement permet vraiment d’enclencher de la croissance et d’améliorer les chances de remboursement. Là aussi, c’est le crédit et donc la confiance qui sont en jeu.

 Faute de confiance, certains acteurs économiques pensent de plus en plus qu’une fin effroyable est préférable à un effroi sans fin. Ils se convainquent peu à peu qu’il est mieux que le chaos s’installe, provoque des prises de conscience, change la donne. Mais c’est un jeu à haut risque.

Dessin de Steve Bell, The Guardian, février 2012
Dessin de Steve Bell, The Guardian, février 2012

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