Guermantes

France 3 a récemment diffusé Guermantes, film de Christophe Honoré tourné en juillet 2020 avec une troupe de théâtre qui répétait une pièce dont les dates de représentation avaient été annulées en raison de la pandémie.

Au printemps 2020, Christophe Honoré répétait avec des acteurs et actrices de la Comédie française Guermantes, une pièce inspirée du texte de Marcel Proust. Les répétitions durent s’arrêter en raison du confinement. La pièce fut déprogrammée.

Le metteur en scène eut alors l’opportunité de réaliser, à partir de cette situation unique, un film. Il invita les acteurs à le rejoindre pendant dix jours à la mi-juillet. La production mit à sa disposition le théâtre Marigny. Chaque jour, la troupe décidait ce qui serait filmé le lendemain : les répétitions, les angoisses, les doutes, le plaisir d’un pique-nique, une nuit en costumes de scène Place de la Concorde. Une fois le cadre défini, place à l’improvisation, aux jeux de la séduction et de l’irritation. La vie à fleur de peau. La Comédie française en slip, dit un commentateur.

Le film ne ressemble à rien de connu, et en cela il dégage mieux qu’aucun autre l’ambiance étrange de cette année 2020. Les acteurs sont confrontés à une situation invraisemblable. Leur travail est irrémédiablement stérile : ils savent que, si la pièce est jouée dans l’avenir, ce sera avec d’autres acteurs et d’autres idées et qu’il faudra tout reprendre  à zéro.

Cette stérilité oblige les comédiens à porter un autre regard sur leur métier. S’ils continuent à répéter, c’est pour le « sentiment pur », au service d’un art qui n’a d’autre but que lui-même. Leurs vies personnelles sont bouleversées : ne portent-elles pas en elles-mêmes une part de stérilité ? Leurs amours sont-ils faits pour durer ?

Le théâtre Marigny lui-même, vide de spectateurs et de techniciens, devient un lieu fantasmatique. On y travaille sur le texte, on échange des confidences, on passe des appels confidentiels qui finissent écoutés, on amène des tables pour boire et manger ensemble, on tire les matelas sur la scène et dans les loges pour passer la nuit les uns avec les autres.

Je ne résiste pas au plaisir de citer la critique de Première : « Chaque recoin est un territoire du jeu à  part entière formant une vaste scène sans limite. Le lieu n’est plus un sanctuaire mais un espace domestique où l’on vit les uns avec (sur !) les autres ; où les mots de Proust n’ont plus ce surplomb intimidant mais rivalisent avec ceux du « dehors » ; où les esprits s’échauffent et se réchauffent ; où la nuit s’étire pour laisser entrer des fantômes ; où les corps dansent, se déploient et respirent pour insuffler à l’intérieur même du cadre les vibrations du récit. Guermantes est un film intelligent, rafraichissant et enivrant. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *