Arte TV a récemment diffusé « Holy Motors », un film étrange et fascinant de Léos Carax (2012).
Holy Motors est un film perturbant. À travers Paris et sa banlieue, une limousine blanche conduite par une femme stylée (Edith Scob) amène son passager, Monsieur Oscar (Denis Lavant) à des rendez-vous successifs. L’habitacle du véhicule a été transformé en cabine de maquillage. Monsieur Oscar en sort sous les apparences d’une vieille mendiante Rom, d’une homme-cobaye pour l’impression du mouvement en trois dimensions, en homme des cavernes hantant le cimetière du Père-Lachaise, en père reprochant à sa fille son manque d’audace, en assassin lancé sur la piste de son double, en vieillard agonisant, en amant retrouvant, pour une demi-heure, la femme qu’il a aimée, et finalement en chef d’une famille de chimpanzés.
Le spectateur s’attend à ce que lui soit révélé ce qui relie ces scènes étranges, mais il doit se résoudre à admettre que ce lien n’existe pas. On ne saura pas quelle mystérieuse organisation a mis au point le planning de Monsieur Oscar, quel son dessein, quels résultats elle escompte.
Le fil rouge est simplement la limousine blanche qui, revenue au garage après une journée harassante, dialogue avec ses congénères limousines. La limousine se déplace dans l’espace et le temps comme métaphore de la vie et de la mort, glissant sans bruit dans la ville lumière, mais ouvrant sur des abîmes de violence, de barbarie, de laideur et de haine.
Ce film ahurissant laisse des souvenirs forts : l’enlèvement par Denis Lavant devenu homme des cavernes de la belle Eva Mendes alors qu’elle pose pour un magazine de mode, juchée sur un monument funéraire ; la procession d’accordéonistes dans les travées d’une église déserte, dans une frénésie de rythmes et de mélodies ; la danse de deux personnages revêtus de combinaisons noire et rouge, équipées de capteurs de mouvements ; les adieux de Denis Lavant et Kylie Minogue sur la terrasse d’une Samaritaine en plein chantier de restructuration, au-dessus du mythique Pont Neuf.
On peut détester ce film dérangeant, violent et parfois obscène. On peut aussi sortir ébloui de cette parabole poétique et magistrale sur le monde moderne, mu par de saintes machines.