Le succès du Huffington Post, journal d’information politique on-line vendu pour 315 millions de dollars à AOL, illustre les défis qu’affronte la presse.
Dans son premier éditorial comme directeur du Monde, Erik Israelewicz écrit « dans notre métier, l’information, la révolution portée par le numérique n’en finit pas de modifier la donne. L’expérience, parmi d’autres, du Huffington Post, aux Etats-Unis, nous oblige à repenser notre journal, à nous situer dans une culture multimédia. Là-bas, en moins de cinq ans, ce site d’information politique en ligne, créé ex-nihilo, s’est imposé comme un véritable journal de référence, venant concurrencer las plus grands quotidiens du pays. Il vient d’être racheté par AOL, un fournisseur d’accès à Internet, pour un prix deux fois supérieur à celui payé par les nouveaux propriétaires du Monde. »
Dans The Guardian du 16 février, Hadley Freeman raconte l’aventure du Huffington Post et de sa fondatrice, Arianna Huffington. Arianna naquit Stassinopoulos en 1950. Elle quitta la Grèce pour suivre des études à Cambridge. Extravertie, extraordinairement douée pour les relations publiques, elle fit preuve dès cette époque des qualités entrepreneuriales qui allaient faire son succès. Elle épousa un journaliste britannique dont elle divorça dix ans plus tard. Elle s’installa alors à New York et épousa en 1986 Michael Huffington, un millionnaire républicain dont elle eut deux filles avant de divorcer onze ans plus tard. Politiquement, elle évolua vers la gauche et se présenta contre Arnold Schwarzenegger en tant que candidate indépendante comme Gouverneur de Californie en 2003. C’est alors qu’elle lança, en 2005, le Huffington Post.
Le Huffpo, comme l’appelle ses fans, est d’orientation libérale. Il devient le baume au cœur de millions d’Américains exaspérés par le néo-conservatisme des années Bush. Pourtant, son public ne se définit pas par ses opinions politiques : « les lecteurs sont bien éduqués, appartiennent à un ménage à haut revenu et utilisent le dernier cri de la technologie », dit un collaborateur d’Arianna. Le journal connaît un succès vertigineux, puisque après seulement six ans il compte 26 millions de visiteurs par mois et 200 journalistes payés.
La mention de « journalistes payés » est importante, car le secret du Huffington Post est de devoir une grande partie de ses contenus à 9.000 bloggeurs enregistrés. Dans le Los Angeles Times, Tim Rutten compara récemment le « business model » du journal à « une galère ramée par des esclaves et commandée par des pirates ». Il ajouta que l’accord avec AOL « allait pousser plus de journalistes plus profondément dans le secteur à bas salaires qui se développe tragiquement dans note économie de plus en plus brutale ».
L’achat du Huffington Post par AOL va enrichir Arianna, mais va aussi la propulser au rang d’éditrice en chef de tous les sites Web d’AOL. « Ce moment, dit-elle, va être pour le Huffpost pareil à descendre d’un train rapide et monter dans un jet supersonique… 1+1 = 11. »
L’avenir sera-t-il aussi rose ? Les lecteurs accepteront-ils le recentrage annoncé de la ligne éditoriale de libérale à centriste ? Et les bloggeurs, satisfaits d’apporter leur contribution au « peloton », à la « communauté éditoriale » que représentait le Huffpost, accepteront-ils de continuer à ramer gratuitement ?
Au cours des dernières années, Le Monde a rendu sa version électronique plus interactive, alors que la version papier traditionnelle est restée produite presque exclusivement par les journalistes. On comprend la fascination d’Erik Israelewicz pour le modèle du Huffington Post. S’achemine-t-on vers un modèle où Le Monde électronique sera le journal de référence, largement produit par la communauté des bloggeurs, et où la version papier en sera en quelque sorte le prolongement, offrant mise en perspective et réflexion en profondeur. ?
Photo « The Guardian » : Arianna Huffington.