Sur un quai de tram à Bordeaux s’écoule un torrent de fatalité.
Une femme d’une cinquantaine d’années arpente le quai sur lequel quelques voyageurs attendent le tram. Elle est en communication sur son téléphone portable et parle à voix forte, ne faisant à son public involontaire grâce d’aucun détail sur la fatalité qui submerge sa vie personnelle.
Le mot-clé est « il a fallu ». Il a fallu que j’aille chez le médecin dès 9 heures, j’avais du repassage en retard qu’il a fallu que fasse en vitesse, il a fallu que je fasse les courses, le repas n’était pas prêt et il a fallu que je mette à la cuisine, il a fallu que je me tape la vaisselle. Et puis Marie-Chloé a débarqué chez moi, il a fallu que je porte sa lourde valise, celle qu’elle emporte lorsqu’elle va à Bali. Il a fallu que je mette sa chambre en ordre. Il a fallu, il a fallu, il a fallu… Madame Ilafallu.
Je ne sais s’il aurait fallu plaindre cette pauvre femme pour sa vie laminée par le destin, ou bien la personne au bout du sans-fil rendue muette par cette logorrhée ou encore nous-mêmes, témoins muets de cet étalage obscène.
Sur le banc près de moi, un gamin d’une douzaine d’années allume une cigarette et la fait goûter à son copain. Le tram est décidément un théâtre de la vie.
L’anaphore du petit théâtre quotidien de la fatalité !