Il Buco

Dans “Il Buco” (le trou), Michelangelo Frammartino immerge le spectateur dans les profondeurs du massif du Pollino en Calabre.

 En 1961, les habitants d’un village de Calabre sont regroupés autour du poste de télévision. Ils assistent à un reportage sur la construction de la Tour Pirelli à Milan. En plein boom économique, l’Italie est prise d’une fringale de verticalité.

 C’est cette envie de verticalité, inversée, qui conduit une équipe de spéléologues piémontais dans le village. Ils passeront leur première nuit dans la sacristie de l’église, couchés à côté d’une statue du Christ gisant. Ils établissent ensuite leur camp dans une prairie à proximité d’un trou béant.

De la montagne en surplomb, un vieux berger accompagné de son âne garde son troupeau de bovins, communiquant avec eux par sifflements et onomatopées. Il observe les intrus avec curiosité.

 Frammartino raconte sans paroles une double descente d’ans les ténèbres. Celle des spéléologues qui commencent par jeter des pierres au fond du ravin. Il est si profond qu’il faut trois ou quatre secondes pour atteindre le fond. « C’était comme si la pierre était désynchronisée », dit le réalisateur. Un par un, éclairés par des lampes frontales, équipés d’échelles de corde, les explorateurs s’engagent dans le dédale de passages étroits, de retenues d’eau, de précipices jusqu’à parvenir à un cul de sac, le fond de la grotte.

Le vieux berger, lui aussi, descend dans les ténèbres, celles de sa mort. On l’étend dans son refuge, on appelle le médecin, rien n’y fait. On attache son cadavre sur un brancard traîné par un âne vers le fond de la vallée.

 Les spéléologues et le berger appartiennent à des mondes différents. Pourtant, ils ont les uns et les autres partie liée à un univers silencieux dans lequel la communication se réduit à des cris et des sifflements. Leur monde est anonyme, inconnu du public. « La spéléologie n’est pas un sport – dans le sport, même au moment de la grande fatigue, on est toujours sous le regard du public, des fans, des caméras. La spéléologie, c’est dans le noir, sous terre, dans la boue. Les spéléologues sont habillés plus comme des nettoyeurs de rue que comme des athlètes », explique Frammartino.

 « Il Buco » est un film déroutant. Il n’a rien de narratif, bien que la découverte d’un abysse de 683m de profondeur eût pu se prêter à une épopée. C’est à une immersion de tous les sens que le réalisateur nous invite. Les paysages sont à couper le souffle. Le regard s’habitue à la nuit. Pas de paroles, seulement le silence troublé dans la montagne par la rumination des bovins, dans l’abysse par les mouvements des explorateurs et le clapotis de l’eau.

 Il est probable qu’à la télévision, le film sera difficile à regarder. Dans une salle obscure, c’est un enchantement.

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