La Cerisaie de Tchekhov par Tiago Rodrigues

France 4 a récemment diffusé la Cerisaie d’Anton Tchekhov mise en scène par Tiago Rodrigues dans la cour d’honneur du Palais des Papes au Festival d’Avignon en 2021.

 La Cerisaie est la dernière pièce écrite par Tchekhov, en 1903 un an avant sa mort. Ses personnages sont représentatifs d’une société russe au bord de l’explosion.

 Madame Ranievskaïa Loubov revient dans le domaine où elle a grandi, après des années passées à Paris. « Oh, ma jeunesse, ma candeur ! J’ai dormi dans cette chambre d’enfant ; chaque matin, le bonheur s’y réveillait en même temps que moi. D’ici, je regardais la cerisaie ; elle était exactement comme je la vois aujourd’hui ; rien n’a changé. » Le domaine est aussi associé à un drame, la mort de son fils âgé de 7 ans, noyé dans la rivière.

Ermolaï Lopakhine tente de faire comprendre à la propriétaire qu’en raison des dettes qu’elle a accumulées, le domaine est en vente. Il a une revanche à prendre : « Ne vous moquez pas de moi ! Si mon père et mon grand-père pouvaient sortir de leur tombe et voir comment leur Ermolaï, que l’on fouettait, qui savait à peine lire, qui, l’hiver, courait pieds nus, comment leur Ermolaï a acheté le plus beau bien qui soit sur la terre !… J’ai acheté le domaine où mon père et mon grand-père étaient serfs et où on ne les laissait pas même entrer à la cuisine (…) Vous viendrez tous voir comment Ermolaï Lopakhine met la hache dans la cerisaie, comme les arbres tombent par terre. »

 Piotr Trofimov est étudiant, il porte les idées des Lumières. Il s’adresse à Ania, la fille de Mme Ranievskaïa : « Songez-y Ania : votre grand-père, votre arrière-grand-père, tous vos ancêtres étaient seigneurs, possesseurs de serfs. Se peut-il que dans chaque branche de ces cerisiers, dans chaque feuille, vous n’aperceviez pas des êtres humains, que vous n’entendiez pas leurs voix ? »

 Firs, domestique, 87 ans, considère le jour de l’Émancipation des serfs comme une catastrophe : « les moujiks étaient auprès des maîtres, les maîtres étaient auprès des moujiks, et aujourd’hui chacun est de son côté ; on n’y comprend plus rien. » Lorsque la famille quittera le domaine, il sera tout simplement oublié. « La vie a passé comme si je n’avais pas vécu. », constate-t-il avant de s’étendre, de s’éteindre.

Tchekhov a donné des instructions de mise en scène très précises. La première scène se déroulera dans la chambre qui est encore appelée la chambre des enfants. Le second acte aura pour cadre une vieille chapelle abandonnée au coucher du soleil. Au dernier acte, « décor du premier acte. Plus de rideaux aux fenêtres, plus de tableaux (…) On entend au loin des coups de hache sur les arbres. »

 Pour sa mise en scène au Palais des Papes, dont les acteurs principaux sont Isabelle Huppert (Madame Ranievskaïa Loubov) et Adama Diop (Ermolaï Lopakhine), Tiago Rodrigues ignore les consignes de Tchekhov. Sur un vaste plateau sont disposées une centaine de chaises utilisées pour les précédents festivals. Un orchestre est disposé sur une estrade mobile sur des rails.

Le nombre et la configuration des chaises varient à mesure qu’avance la pièce. Tantôt, elles sont arrangées en cercles pour suggérer l’intimité d’une conversation ; tantôt, isolées et solitaires comme pour exprimer la tristesse d’une vie sans origine et sans finalité – « D’où je viens, qui je suis, je ne le sais pas (…) J’ai une si grande démangeaison de parler, et personne pour m’écouter… je n’ai personne… », dit Charlotta, la gouvernante.

 Les chaises finissent empilées comme un tas de débris, symbole de ce que devient la famille contrainte à la fuite. La scène est vide, les cerisiers ont été abattus. La mise en scène s’est écartée des indications de Tchekhov, mais elle est fidèle à l’esprit de son œuvre. Le résultat est magnifique.

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