Le théâtre du Pont Tournant, à Bordeaux, donne actuellement « La Contrebasse », pièce écrite par Patrick Süskind en 1981, mise en scène et interprétée par Stéphane Alvarez.
Sur scène, un homme seul, isolé du monde dans son studio capitonné, prend les spectateurs à témoin. Il est contrebassiste au troisième pupitre de l’Orchestre National. La contrebasse, selon lui, est la base, le fondement sur lequel s’appuient tous les autres instruments.
Le chef d’orchestre lui-même peut s’agiter dans tous les sens. Ce n’est pas lui, mais la contrebasse qui donne le tempo. Dommage qu’au dix-huitième siècle la basse à quatre cordes se soit imposée comme un standard : la basse à trois cordes était plus musicale. Dommage aussi qu’aucun grand compositeur n’ait écrit de concerto pour contrebasse : les contrebassistes ne sont pas reconnus à leur juste valeur.
Peu à peu, l’éloge dithyrambique dérive vers le ressentiment et la frustration. La contrebasse prend toute la place. Des heures de répétition. Tous les sièges passagers de la voiture. Le centre de toutes les attentions des invités dans l’appartement. Son corps est résolument féminin, tout en courbes et en fentes, mais elle se refuse au rôle de conjointe.
C’est que le contrebassiste est secrètement amoureux d’une jeune mezzosoprano, Sarah, mais Sarah l’ignore. Peu à peu, il glisse dans la folie. Il conçoit le projet de crier « Sarah ! » au début du concert qui se joue ce soir. Cet esclandre lui ferait perdre ce à quoi, finalement, il tient plus que tout : le statut de fonctionnaire, la sécurité de l’emploi. Le titulaire du troisième pupitre de contrebasse dans l’orchestre national se trouve dans une tragique impasse.
Le texte de Süskind a une forte intensité dramatique. L’interprétation de Stéphane Alvarez, qui créa cette pièce dans le même théâtre en 1984, est remarquable.