Le personnage central de « La décision », roman de Karine Tuil (Gallimard, 2022), est une juge d’instruction antiterroriste qui doit décider du maintien en détention ou non d’un jeune revenu de Syrie.
Le livre se présente comme le récit, par Alma Revel, juge d’instruction antiterroriste, de ce qu’elle vécut en mai 2016. Elle dut alors décider sur la demande de liberté avec assignation à résidence sous surveillance électronique d’Abdeljalid Kacem, 23 ans, qui avait été incarcéré avec sa femme Sonia à leur retour de Syrie.
« Tous les clignotants sont au vert » : Abdeljalid affirme être allé en Syrie pour une action humanitaire, réprouver les actions de l’État islamique, n’avoir pour projet que de vivre paisiblement avec Sonia et leur bébé né en Turquie. Alma connaît les effets délétères de la prison, qui a détruit son propre père : « l’enfermement révèle le pire de vous-même et quiconque n’a pas été soumis à ce rétrécissement de l’horizon ne sait pas ce qu’est la dévastation. » Elle souscrit à la harangue d’Oswald Baudot en 1975 : « Ne comptez pas la prison par années ou par mois, mais par minutes et par secondes, comme si vous deviez la subir vous-même ».
La juge accepte la demande d’Abdeljalid Kacem. Dans les semaines suivant sa libération, celui-ci pénètre avec une mitraillette dans une boîte de nuit parisienne et tue douze « mécréants ». Au long de ses multiples interrogatoires, il a pratiqué la taqiya, la dissimulation, en niant son appartenance à l’État islamique qui l’a mandaté pour tuer des mécréants en France.
Alma traverse une intense période de crise personnelle. Elle est en train de divorcer d’Ezra, le père de ses trois enfants, qui dérive vers le judaïsme orthodoxe. Elle vit une relation passionnée avec Emmanuel, un avocat qui lui donne l’amour mais pas la sécurité ; Emmanuel est l’avocat de Kacem, ce qui pose un sérieux problème déontologique. Pour compliquer la situation, Milena, fille d’Alma et Ezra fréquente les boîtes de nuit…
Par le personnage d’Alma, Karine Tuil nous parle du métier des juges d’instruction spécialisés dans le terrorisme. « J’exerce un métier difficile, un métier de conflit, avec le temps, je m’y suis habituée, je suis en conflit avec les avocats, les enquêteurs, le parquet, les victimes, les détenus, et, quand je rentre chez moi, je suis en conflit avec mes proches parce que je n’ai plus d’énergie pour les écouter. » C’est un métier où l’on est en permanence menacé : « SALE MÉCRÉANTE ON VA TE DÉCAPITÉ », lit-elle sur un SMS.
« La réalité, dit Alma, c’est qu’on s’habitue à la possibilité de notre propre mort, mais à la haine, jamais. La haine surgit et contamine tout. Elle est là quand j’ouvre le courrier des détenus : « Alma Revel, vous alles crever en enfer » ».
La partie du livre qui m’a le plus intéressé est le dialogue entre le négociateur du RAID et le terroriste, retranché après le massacre dans la régie de la boîte de nuit. Kacem rie en évoquant les meurtres qu’il a commis : « les mécréants, là, je les ai abattus comme des chiens (…) Y a absolument rien que je regrette et si c’était à refaire, je le referais. La seule chose que je regrette c’est de ne pas en avoir tué plus. »
« La vie dans ce bas monde, c’est la prison du musulman, du croyant (…) La mort, je l’aime, sinon j’aurais pas fait tout ça. Ce bas monde, j’en veux pas. Moi, c’est le paradis que je veux… rencontrer le Prophète et les vierges du paradis. »
Sur son bureau, Alma Revel a encadré cette phrase de Marie Curie : « dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. » Mais parfois, dit-elle, on ne comprend rien.