La discipline du vide

Édités par le Seuil, les Actes de la recherche en sciences sociales ont publié l’an dernier un article de Corentin Durand intitulé Une discipline du vide, apprendre à attendre en prison.

 Le temps de la prison est caractérisé par l’attente. On attend la libération, le jugement, les décisions judiciaires, ce qui place les personnes détenues sous le régime de l’incertitude. « Surtout, comme l’écrit Corentin Durand, l’attente carcérale naît des innombrables situations où l’accomplissement par les prisonniers de tâches ordinaires nécessite l’autorisation ou la coopération des autorités pénitentiaires : recevoir son repas et ses commandes alimentaires, aller à la douche, en activité ou en promenade, téléphoner ou rencontrer brièvement ses proches, se rendre chez le médecin ou à un poste de travail, etc. »

 Pour exprimer une demande immédiate, les détenus placent un « drapeau », un bout de papier glissé dans l’interstice de la porte pour attirer l’attention des surveillants. Il leur faut parfois attendre plusieurs heures avant d’obtenir une réponse. « Parfois les « drapeaux » sont accompagnés par des cris et des coups sur la porte pour forcer l’attention des surveillants. C’est notamment le cas lorsque des prisonniers estiment avoir été oubliés pour des activités auxquelles ils avaient droit, comme les départs en promenade, en activité ou, plus grave encore, les parloirs avec la famille ou avec un avocat. »

 

Tout passe par l’écrit

 La plupart des demandes en prison doivent faire l’objet d’un écrit. Il faut remplir un formulaire pour changer de cellule, postuler à un travail ou à une formation, obtenir des vêtements, demander un parloir-famille, avoir accès à la salle de sport, participer à un culte, rencontrer un visiteur.

 Pour l’administration, le passage par l’écrit permet de maîtriser le temps carcéral. Le prisonnier demande. La réponse arrive quand elle arrive. Parfois, elle prend la forme de l’inscription sur une liste d’attente, ce qui, pour lui, ne correspond à aucune matérialité tangible. Il peut être « classé » pour le travail, mais il n’obtiendra un travail que dans quelques jours, quelques mois, ou jamais.

 L’étirement des délais d’attente et l’invisibilisation des demandeurs par le recours systématique à l’écrit, répondent au surencombrement des prisons et au sous-effectif du personnel. Corentin Durand souligne toutefois que les professionnels tendent à y voir l’occasion d’un travail rééducatif. Les jeunes de milieu populaire, éduqués souvent sans autorité paternelle, son suspectés de vouloir tout, tout de suite et de ne pas supporter la frustration. Il faudrait leur apprendre à gérer leurs émotions, à attendre. En d’autres mots, les initier à une discipline du vide. « L’enthousiasme avec lequel de nombreux professionnels présentent les initiatives mises en place dans le domaine de la gestion des émotions, écrit Corentin Durand, peut être compris comme une forme de soulagement face à la renaissance d’une justification à la prétention éducative et disciplinaire de l’intervention pénitentiaire.

Dans une maison d’arrêt. Photographie incluse dans le document de l’ARSS.

Profitez mieux de votre temps de détention !

 Une anecdote racontée par un détenu en maison d’arrêt fait écho à cette problématique de l’initiation à la vertu d’attente et de patience. Il est détenu depuis un an. Trois ou quatre mois après sa détention, il avait écrit pour demander son transfert au module Respect, dans lequel les conditions de détention sont plus souples en contrepartie d’engagements souscrits par la personne détenue. Il n’avait pas reçu de réponse à une première demande. À la seconde, il lui avait été répondu qu’il n’avait pas le profil requis, sans précision sur le contenu de ce profil.

 Sans avoir renouvelé sa demande, des mois après le refus, il reçoit un message du chef de détention l’informant que sa demande de transfert n’a pas été acceptée par la Commission Pluridisciplinaire Unique, et que celle-ci l’encourage à tirer le meilleur profit de son temps de détention. Que pourrait-il faire de plus pour « profiter » à plein de son temps de détention ? Il suit des cours de français, utilise la salle de sport, va à la messe, rencontre un visiteur… Nous avons ri ensemble de cet humour pénitentiaire qui inflige au temps carcéral des distorsions que n’auraient pas reniées les surréalistes.

 En introduction de son texte, Corentin Durand rappelle que « la prison – comme aboutissement de la répression pénale – est sélective dans son recrutement. Sélection genrée, puisque les femmes ne représentent que 3,2 % des 72 294 personnes détenues au 1er février 2023. Sélection sociale objectivée, par exemple, par le fait qu’en 2011, près de 9 % des personnes nouvellement incarcérées se déclaraient sans domicile fixe et que le taux d’activité à l’entrée en détention est inférieur à 50 %. Sélection en termes d’âge aussi, caractérisée par une forte surreprésentation des personnes entre 21 et 30 ans par rapport à la population générale. Sélection marquée enfin par les rapports sociaux de race, quoique plus difficilement objectivable : en 1999, 51,2 % des personnes détenues adultes avaient un père né hors de France (contre 25 % en population générale), dont 30 % en Afrique (contre 7,6 %). L’expérience de l’attente pénitentiaire concerne donc de fait une population spécifique. »

La ronde des prisonniers, Vincent Van Gogh

Une réflexion sur « La discipline du vide »

  1. D’où la nécessité de développer des aides à l’écriture « Ecrivain public » en prison, de leur donner les moyens d’exercer l’écrit de manière professionnelle (PC + Imprimante) : c’est un service public !

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