Dans « la France en colères » (Le Cerf, 2024), Christophe Bourseiller, président de l’Observatoire des extrémismes et des signes émergents, constate que nous sommes dans « un siècle nouveau dominé par des éruptions d’une fureur dénuée de référencements idéologiques. »
« Quand il leur arrivait d’investir un bâtiment public, écrit-il, les soixante-huitards fondaient illico un Comité d’action, qui pondait de sérieux manifestes proposant des réformes décisives. En janvier 2019, des Gilets jaunes parviennent justement à pénétrer dans la cour du ministère des Relations avec le Parlement de Benjamin Griveaux. Que font-ils en la circonstance ? Ils tournent en rond dans l’air froid, puis quittent l’enceinte en haussant les épaules. »
Les éruptions de fureur se multiplient : les Gilets jaunes succèdent aux Bonnets rouges ; Les ZAD, Zones à Défendre, arrachent temporairement des territoires au contrôle de l’État pour sauver la planète ; lorsqu’éclate l’épidémie de Coronavirus, les antivax y voient une manœuvre des dirigeants pour « tester sournoisement la soumission des peuples ». Christophe Bourseiller souligne que ces explosions de colère « traduisent un profond sentiment d’injustice, une sensation de rejet, d’exclusion, de mépris ». Mais il relève aussi « l’affaissement général de la pensée critique au profit des passions et de leur corollaire, l’indignation morale. »
L’extrême gauche comme l’extrême droite, dans leur radicalité idéologique, subsistent certes, mais à la marge. L’auteur clarifie les concepts. « L’extrémisme lutte pour un changement radical de société et veut y parvenir par la violence. » «Les extrêmes gauches affirment l’égalité de toutes et tous à la naissance. Les extrêmes droites au contraire tiennent pour acquis qu’il existe des inégalités naturelles. D’un côté, la soif d’un monde égalitaire, de l’autre le souhait d’une société inégalitaire. »
« La France en colères » donne un portrait détaillé des mouvements extrémistes de droite comme de gauche, de l’Action Française à la Reconquête d’Éric Zemmour, du trotskysme à la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Ils exercent une influence certaine. Cependant, « à côté des extrémistes de gauche ou de droite, ce qui frappe ici, c’est l’émergence de ce qu’il faut bien nommer des « extrémistes sans cause », qui rêvent de mettre à bas les injustices, de destituer le président, de s’emparer de l’Élysée, sans pour autant formuler un projet alternatif. »
« La France s’extrémise. Les idées incubées dans les marges se répandent dans la société en se diluant. Confusion des sentiments et règne des passions sculptent une cartographie nouvelle, écrit Bourseiller ». C’est le terrain du populisme, « une paresse de la pensée. Il propose de répondre à la complexité du monde par une ultra-simplification. Fermons les frontières, chassons les étrangers, remettons l’église au centre du village et la France sera sauvée, clament en substance les différents champions du peuple dressé contre les élites. Et ça marche. »
L’analyse de Christophe Bourseiller d’une France rongée par des « colères » sans projet peut décourager. Mais la qualité des informations qu’il met à la disposition des lecteurs constitue une arme pour ceux qui ne se résignent pas à l’affaissement de la pensée critique.