Dans « La justice réparatrice. Une justice nouvelle enracinée dans la tradition africaine » (L’Harmattan, 2021) Thérèse de Villette propose au lecteur un véritable manuel de la justice réparatrice, entrée sous le nom de « justice restaurative » dans la législation française en 2014.
Le titre du livre peut laisser penser que la justice réparatrice trouve ses racines en Afrique. En réalité, elle s’est développée principalement au Québec, où Thérèse de Villette l’a pratiquée avant de réaliser, en Côte d’Ivoire, deux programmes : des rencontres détenus-victimes dans une prison d’Abidjan ; des rencontres offenseurs-victimes dans un village de l’est du pays, où la guerre civile avait laissé de graves traumatismes.
Thérèse de Villette donne de la justice réparatrice la définition suivante : il s’agit de « la démarche qui vise à créer l’équilibre social perturbé par un crime, en redonnant aux parties concernées, victime, agresseur et personnes de la communauté, le pouvoir d’entrer en dialogue à part égale, d’exercer leur responsabilité et de reprendre leur place dans la société. Elle est, pour les parties, engagement dans une démarche de réparation, avec l’aide de médiateurs. »
Elle souligne la parenté avec les palabres traditionnelles africaines. En Occident, écrit-elle, « la sanction est encore fortement centrée sur la détention en réponse au crime, c’est-à-dire sur l’exclusion de la communauté, alors que la pratique traditionnelle africaine a pour effet de réintégrer l’offenseur dans sa communauté naturelle après réparation faite à celle-ci et à la famille de la victime en particulier (…) En Afrique, on parle souvent de « la justice sous l’arbre à palabres ». Dans le village en effet un arbre est particulièrement sacré parce que significatif, symbole de la communauté ; ses racines plongent dans la terre des ancêtres et se nourrissent de leur esprit pour les discernements qu’elle a à exercer, et les jugements à prononcer. »
Les effets négatifs de la peine de prison sont connus : « La personne est trop souvent réduite à devenir un numéro d’écrou, oisif et frustré, ruminant la haine et prévoyant la violence, occupé à fourbir les armes de vengeance contre la société, à sa sortie. » Un détenu se définit ainsi : « Moi je m’appelle Robert. Point final. Je vis sur les nerfs. Je n’ai pas d’avenir. Je n’ai rien raconter. Suis nui. C’est ce que j’étais. »
La justice réparatrice vise à ouvrir un avenir, tant pour l’offenseur, souvent malmené dans son enfance et embarqué dans une mécanique criminelle qu’il ne maîtrise pas, que pour la victime, qui peine, comme dit l’une d’elles, à « soulever le fameux « couvercle » qu’elle avait mis sur la poubelle où elle croyait avoir enfermé hermétiquement la honte. »
L’autrice ne se contente pas d’évoquer des principes. Elle décrit en détails un programme de justice réparatrice, de la sélection de participants à leur formation, puis à l’organisation des séances. Huit fiches pédagogiques en constituent le support :
- Qui suis-je ? La connaissance de soi
- Pourquoi la loi ? Droits et devoirs
- La gestion des conflits
- Violence et non-violence
- Pour communiquer. Apprendre à parler de soi
- Pour communiquer en paix. Apprendre à écouter
- Sur le chemin de la réconciliation
- Qu’est-ce que la justice réparatrice ?
Le programme proposé par Thérèse de Villette est clairement inspiré par le Christianisme. La recherche du pardon y est centrale. Elle parle d’une démarche « fondée en grande partie sur la dimension religieuse de notre existence, notre relation avec quelqu’un de supérieur à nous, mais attentif et aimant. » « On ne pardonne pas aux autres, on se laisse prendre par le pardon, écrit-elle ». Le pardon est un don de Dieu, donné comme un cadeau. »
L’autrice pense que cette dimension religieuse est commune à toutes les religions. Je ne suis pas sûr, en ce qui me concerne, que la reconnaissance de Dieu comme aimant inconditionnellement chaque personne soit partagée par le judaïsme et l’islam.
Mais surtout, la justice réparatrice peut-elle faire abstraction du concept de « pardon » ? Une ambition plus modeste, mais suffisante, ne serait elle pas de permettre aux offenseurs et aux victimes de comprendre ce qui était en jeu lorsque s’est produit le délit ou le crime ?
Si l’on met de côté cette interrogation, le livre de Thérèse de Villette reste l’un des ouvrages les plus opérationnels pour mettre en œuvre un projet de justice réparatrice, ou restaurative.