Dans « La petite-fille », roman écrit en 2021 et traduit en français par Bernard Lortholary (Gallimard, 2023), Benrhard Schlink plonge le lecteur dans une Allemagne marquée par le traumatisme de sa division et de sa réunification.
Kaspar, septuagénaire, est libraire à Berlin. Sa femme Birgit décède dans des circonstances troubles, peut-être un suicide. Ils se sont rencontrés en 1964. Elle vivait à Berlin Est, lui à l’Ouest. Elle ne supportait plus la vie en RDA : « je ne voulais pas attendre d’époque nouvelle, ni de pays nouveau, ni d’être humain nouveau. Je ne voulais pas attendre. Je voulais vivre. »
Quelques mois après leur rencontre, Kaspar aide Birgit à fuir à l’Ouest. Ils vivent ensemble un demi-siècle. Après la mort de Birgit, Kaspar découvre des carnets, peut-être l’ébauche d’un roman autobiographique qu’elle n’a jamais écrit. « Je suis contente de ne pas être restée. Je ne veux vivre aucune de ces vies non vécues. Mais je ne peux m’en défaire. Mes vies non vécues sont miennes comme celle que j’ai vécue. »
Parmi ces vies non vécues, celle d’une mère de famille. Lorsque Kaspar et Birgit se sont rencontrés, elle était enceinte. Elle ne lui en a jamais parlé. Elle a abandonné l’enfant, demandant à une amie de le confier à une institution.
Après la chute du mur de Berlin, Birgit s’est posé la question de chercher l’enfant devenue adulte, de s’offrir à elle. Elle n’a jamais mis son projet à exécution. Kaspar le prend à son compte. Il finit par rencontrer Svenja, la fille de Brigitte. Celle-ci, après avoir vécu un enfer de drogue et de squats, a rencontré Björn, un néonazi qui vit dans une communauté de militants bien décidés à ne pas se laisser envahir par les étrangers. Il veut acheter une ferme et a besoin d’argent.
L’argent sera le levier par lequel Kaspar obtiendra de Björn et Svenja la possibilité de jouer auprès de leur fille Sigrun, âgée alors de 14 ans, le rôle de grand-père par alliance. Elle passera chez lui des vacances scolaires.
Kaspar entend sauver Sigrun, « lui faire vivre un autre monde et d’autres expériences que celles offertes par ses parents. » Mais comment s’y prendre, sachant que pour les croyants en ce qu’on nomme en France « le grand remplacement », toute attaque frontale est disqualifiée comme une manœuvre de l’ennemi ? Il repère en Sigrun un don exceptionnel pour la musique. La librairie l’ouvre à toutes sortes d’auteurs.
« La petite-fille » est un livre passionnant par ce qu’il révèle de la faille qui subsiste entre les Allemands de l’Est et de l’Ouest, malgré des décennies d’apprivoisement mutuel. Il constitue aussi un manuel pratique pour le désarmement moral de personnes embrigadées dans une idéologie du refus, de la désinformation et de la haine. « Mon Dieu ! Kaspar se sentit désemparé. Comment faire pour démolir cette montagne de ressentiment ? »